Dream Baby Dream
Le 12 janvier 2017
Andrea Arnold explore l’Amérique white trash sur fond de beats trap incantatoires. Un voyage sombre et ensorcelant, que l’on traverse en état de transe.
- Réalisateur : Andrea Arnold
- Acteurs : Shia LaBeouf, Arielle Holmes, Sasha Lane, Riley Keough, McCaul Lombardi
- Genre : Comédie dramatique, Road movie
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Durée : 2h43mn
- Date de sortie : 8 février 2017
- Festival : Festival de Cannes 2016
Résumé : Star, une adolescente, choisit de quitter sa famille dysfonctionnelle pour rejoindre une équipe de vente d’abonnements de magazines, qui parcourt le Middlewest américain en faisant du porte à porte. Aussitôt à sa place parmi cette bande de jeunes, dont fait partie Jake, elle adopte leur style de vie, rythmé par des soirées arrosées, des petits larcins et des histoires d’amour… Débute une aventure pas comme les autres.
- Copyright Parts & Labor LLC / Pulse Films Limited / The British Film Institute/ Channel Four Television Corporation
Critique : Le système de American Honey fonctionne comme un road movie cathartique, pour Star surtout mais aussi pour ses compagnons de route. Un jour qu’elle cherche de la nourriture aux abords d’une benne à ordure avec les enfants confiés de force par sa sœur, elle croise la route d’un groupe de jeunes survoltés en minibus sur un parking adjacent. C’est là qu’elle fait la rencontre de Jake (aka Shia LaBeouf, qui quitte quelque temps son happening habituel), personnage iconique et enjôleur qui va lui proposer de rejoindre la bande. Outre le charme qui semble opérer sur la jeune femme, le deal qui lui est proposé consiste à vendre des abonnements de magazines au porte-à-porte sous la houlette d’une femme tyrannique, Krystal. En échange, cette dernière se charge du logement et de l’acheminement de ses employés dans chaque ville parcourue. L’occasion rêvée pour Star de rappeler sa sœur à ses obligations, mais aussi d’échapper à l’emprise de son colocataire, homme violent, libidineux et violeur notoire. Débute bientôt un long voyage en minibus à travers les États-Unis entrecoupé de bandes-son trap, où le mouvement inlassable sonne comme une purgation et la possible amorce d’une nouvelle vie. Seulement, le rêve auquel Star n’ose pour l’heure qu’à peine songer n’est pas aussi idyllique qu’il en a l’air. Les chaussures rouges à paillettes abandonnées dans une chambre, comme tout droit sortis du Magicien d’Oz, le laissent suggérer. Sans doute faut-il d’ailleurs percevoir American Honey comme un contre-Magicien d’Oz. Contre-utopie qui dépeint l’histoire d’une Amérique ensoleillée mais triste comme la mort.
Certains déploreront un simple mélange Larry Clarke, Harmony Korine, Sofia Coppola, le tout déclamé sur près de trois heures, mais American Honey est bien plus qu’une coquille vide maniérée. Le nouvel Andrea Arnold se lit comme un rite incantatoire, l’échappée-cri d’alarme d’une jeunesse white trash cédant à l’appel du loup, désireuse d’en découdre avec la vie par tous les moyens. Phénomène qui se manifeste par une fuite en avant désordonnée, guidée pour l’essentiel par un besoin d’argent. L’on pourrait rester insensible ou anesthésié par ces murs sonores trap s’échappant perpétuellement du minibus disséminant les adulescents à leur besogne. Mais c’est ce rituel quasi chamanique entrecoupé de lattes de joint et de bouffées de crack qui donne du cœur à l’ouvrage à cette équipée crépusculaire. Il y a du Spring Breakers dans American Honey, qui utilise ce même dispositif de nappes sonores comme pour déjouer un sortilège. Mais on retrouve également toutes les obsessions de la cinéaste : les hommes prédateurs, les femmes invulnérables mais toujours sous leur joug. Un discours sur l’Amérique pauvre et délaissée affleure également, mais pas seulement. Pas oubliés, les riches Américains rencontrés ici et là semblent tous aliénés : les familles nanties rongées par la religion, les riches propriétaires de ranch par le patriotisme, les cadres fortunés des gisements de pétrole par la solitude. Le constat d’Andrea Arnold peut paraître aride ou caricatural, mais il ne s’agit pas là d’un point de vue mais plutôt de l’enregistrement d’une réaction : celle de ces mêmes Américains face à la pauvreté. À noter que le seul moment où les passagers du minibus ne seront pas jugés au prisme de leur capital social est l’instant passé avec les enfants d’un quartier défavorisé dont les parents sont toxicomanes. Manière pour la réalisatrice de rappeler que l’un des principaux clivages, et la base même des inégalités aux États-Unis, repose sur l’argent. American Honey, American Money...
- Copyright Parts & Labor LLC / Pulse Films Limited / The British Film Institute/ Channel Four Television Corporation
Comme dans Les bêtes du sud sauvage, le soleil écrase les hommes dans American Honey. Ses rayons sont francs, le ciel l’enveloppant d’un bleu limpide. Mais c’est que la nature est insensible à l’indigence. Ou seulement daigne-t-elle lézarder le ciel de pluie lorsque Star, noyée dans ses pensées pendant les trajets, songe avec désespoir à Jake, amoureux volage. Mais comme toujours chez Arnold, l’abattement est quelque chose auquel jamais ne se résignent les femmes, ou seulement l’espace d’une averse. Au cours de ce voyage initiatique, Star apprend beaucoup des autres, donc beaucoup d’elle-même. Toute la bande d’adolescents vaut le coup d’œil : chaque rôle est écrit avec soin et joué avec charisme. Peut-être faut-il interpréter les diverses apparitions d’animaux dans American Honey (écureuil, loup, ours puis tortue) comme les symboles de la mutation de l’adulescente. D’abord effrayée par l’eau, elle s’y plongera finalement sans hésitation, insubmersible et comme parée d’une carapace. Malgré les assauts du monde, le tout est de Rester vertical, dirait Alain Guiraudie. Les symboles animaliers jalonnant le film sont en tout cas un indice de plus de la spiritualité toute chamanique ici à l’œuvre.
Sans être un film parfait, American Honey est un métrage important dans la filmographie d’Andrea Arnold. Malgré quelques pistes musicales de trop dans les derniers instants, difficile de ne pas se faire happer par la trajectoire de Star, jamais rectiligne et toujours au bord du gouffre. Sasha Lane, son interprète découverte par Arnold dans un bar à tacos, n’aurait pas volé son prix d’interprétation féminine.
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Sarah Parsisson 5 juin 2019
American Honey - Andrea Arnold - critique
American Honey est un film à la fois fascinant est frustrant.
L’esthétique du film est très agréable : le choix du format carré pour certaines scènes est très intéressant puisqu’il nous permet de rester très proche du personnage et de capter davantage ses réactions. Cela m’a fait penser à Mommy de Xavier Dolan (même si, nous sommes d’accord, l’approche est très différente !). D’autre part, les couleurs sont magnifiques et nous transporte réellement dans le voyage de ce groupe de jeunes à travers les 14 Etats des USA ; tout comme les scènes à rallonge qui dure le temps d’une chanson dans lesquelles on voit se créer les liens entre les membres de cette petite troupe. D’ailleurs, j’ai beaucoup aimé la BO :)
Toutefois, j’ai trouvé l’histoire un peu légère et sans réelle avancée. Les personnages introduits dès le début du film sont très vite abandonné (je pense notamment aux deux enfants dont Star s’occupe). La fameuse histoire d’amour entre Star et Jake tombe souvent dans le cliché... La jalousie de Star est parfois incompréhensible. Alors que celle-ci pouvait être un personnage intéressant, pleine de subtilité, on se retrouve avec une jeune femme naïve, dont les responsabilités de départ ne transparaissent pas dans ses actions.
Au-delà de ce manque de profondeur dans le personnage principal, le film reste quand même un beau long-métrage rempli de réalisme grâce en partie au ’casting sauvage’.