Prague, année zéro.
Le 23 décembre 2011
Exercice de style réussi que cette oeuvre personnelle et ambitieuse, certes pas tout à fait aboutie, mais qui propose une réflexion des plus pertinentes sur la difficulté à s’affranchir des traumatismes du passé.
- Réalisateur : Tomas Lunak
- Acteur : Miroslav Krobot
- Genre : Drame, Animation
- Nationalité : Tchèque
- Durée : 1h24mn
- Date de sortie : 14 mars 2012
- Plus d'informations : Le site du distributeur
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Exercice de style réussi que cette oeuvre personnelle et ambitieuse, certes pas tout à fait aboutie, mais qui propose une réflexion des plus pertinentes sur la difficulté à s’affranchir des traumatismes du passé
L’argument : 1989 : tandis que le régime tchèque vacille, Aloïs Nebel, chef d’une gare de province perdue dans la brume, vit seul avec les fantômes de son passé. L’irruption d’un étranger bouleverse sa vie. Réfugié dans la gare centrale de Prague, il croise celle qui lui donnera l’amour dont il a besoin pour sortir du brouillard de ses souvenirs.
Notre avis : A l’image du personnage éponyme dont le nom signifie "brouillard" en allemand, le premier film de Tomas Lunak nous plonge dans une rêverie taciturne où le monde apparaît sous un jour désenchanté et dépourvu de couleurs. Dès les premières minutes, c’est une voix spectrale qui se fait entendre pour évoquer une à une les gares desservies par la ligne de train fantôme servant de fil conducteur à l’intrigue. Chaque mot, arraché à une forme d’immobilisme pesant, nous éloigne davantage de notre quotidien pour nous faire avancer à tâtons dans une Tchécoslovaquie rêvée et dont le rapport à l’histoire est étrangement différé via le choix de l’animation en Noir et Blanc.
Nous voilà pourtant bien en 1989, dans le contexte d’une Révolution de Velours menée pacifiquement par les opposants au régime et réduite à de vagues mentions dans quelques bulletins d’informations éclair, mais dont le cinéaste suggère qu’elle ravive une violence sourde et lointaine, héritée en partie de l’immédiat après-guerre et de l’expulsion de la minorité allemande des Sudètes en 1945. Cette tension entre un immobilisme latent et des éclats ponctuels de violence, eux-mêmes issus d’un traumatisme originel et qui interviennent notamment lors des souvenirs hallucinés d’Aloïs, donnent lieu à une oeuvre calme, expressionniste, hantée par un certain vide et même, une forme de monotonie, mais qui n’en évoque pas moins, par le pouvoir des images, toute la violence de l’anéantissement moral auxquels la guerre et le communisme le plus élémentaire ont réduit le peuple tchèque.
Le procédé de la rotoscopie, technique consistant à relever image par image les contours d’une figure filmée en prise de vue réelle pour en transcrire la forme et les actions dans un film d’animation (technique familière à Disney, pour ne mentionner qu’un exemple), trouve tout son sens au regard du réalisme historique dont le film fait preuve et de sa volonté d’abstraire les individus de leur seule réalité sociale pour interroger la dimension universelle de leur rapport au passé. Un rapport qui se réduit aux mutismes, aux sous-entendus, aux valeurs du travail qu’on martelle sans trop y croire, à une dénégation permanente virant quasiment au refoulement. Mais la puissance visuelle d’Aloïs Nebel, loin de circonscrire le film au seul pamphlet politique, telle qu’elle met à mal tout didactisme illustratif. Elle interroge cette intrication complexe entre l’individu et le drame collectif, faisant de ses personnages les acteurs d’une histoire à retrouver entre les figures monochromes qui peuplent le présent.
Et c’est pourquoi l’intrigue, au lieu de viser l’épure fonctionnelle, travaille à une impression de flottement, au point que l’on se surprend à retrouver par moments le fil d’une histoire décousue et pourtant captivante grâce à sa seule beauté plastique. D’un tableau à l’autre, il est vrai que ce premier film d’une implacable noirceur gagnera à être visionné au regard de connaissances historiques précises (expulsion de la minorité allemande des Sudètes en 1945, héritage du Printemps de Prague, etc.), et qu’en cela il travaille un certain réalisme auquel le cinéma d’animation ne nous a pas toujours habitués. Mais le rapport à l’histoire dessiné au moyen de son intrigue sinueuse, fait de refoulements et de névroses collectives, laisse une impression de cauchemar prégnant, peuplé de personnages taciturnes dont les voix demeurent longtemps présent à notre mémoire. En cela, Aloïs Nebel s’impose comme une oeuvre prometteuse.
Entretien avec le réalisateur : ICI
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