Le 13 janvier 2015
Véritable coup de cœur cinématographique en cette rentrée 2015, A Girl Walks Home Alone At Night marque en fanfare les débuts de la réalisatrice Ana Lily Amirpour dans le format du long-métrage. Rencontre avec une personnalité pétillante à l’univers bien affirmé.
- Réalisateur : Ana Lily Amirpour
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Véritable coup de cœur cinématographique en cette rentrée 2015, A Girl Walks Home Alone At Night marque en fanfare les débuts de la réalisatrice Ana Lily Amirpour dans le format du long-métrage. Rencontre avec une personnalité pétillante à l’univers bien affirmé.
aVoir-aLire : Qu’est-ce qui vous a menée à associer un vampire, un tchador et une histoire d’amour avec un personnage aux allures de James Dean ?
Ana Lily Amirpour : Le tchador est la première chose qui a ouvert la voie aux autres idées. J’en avais un, récupéré parmi les costumes d’un de mes films précédents. Je l’ai mis et j’avais l’impression d’être une chauve-souris, une créature. J’ai pensé à un vampire iranien qui serait cette fille, le personnage principal du film. En poussant cette idée plus loin, d’autres éléments se sont rajoutés. Quand on fait un film c’est comme si on allait cuisiner quelque chose avec ce dont on dispose dans son placard. C’est parti de ces choses-là, que j’avais et que j’aimais. C’est comme faire un plat !
Vous avez également fait un court-métrage intitulé A Girl Walks Home Alone At Night. L’avez-vous réalisé dans l’idée d’en faire un long-métrage par la suite ?
Le court-métrage est la première chose que j’ai faite après avoir eu l’idée du tchador, de cette fille rentrant chez elle seule, dans la nuit, et d’un homme essayant de la suivre. Il la suit à travers la ville, puis dans une chambre et après elle le dévore, car c’est un vampire. Ce n’était pas un court-métrage particulièrement long, ce n’était qu’une séquence. Et après ça je ne pouvais m’empêcher de penser à ce personnage. Je n’avais qu’une envie : faire tout un film à son sujet. L’idée du long-métrage est donc venue par la suite et le court s’est avéré très utile, car il donnait aux gens un aperçu visuel du film. Je pense que beaucoup de réalisateurs font ça, quand ils veulent faire un long, ils réalisent un court-métrage pour aider à montrer ce dont il s’agit. Mais je ne l’ai pas fait consciemment. Je voulais réaliser un court pour le plaisir de le faire.
Est-ce que cela vous a aidée à financer le film ?
Le film était compliqué à financer, il y a eu plusieurs étapes différentes. Au début j’ai réuni des fonds puis certaines personnes en on entendu parler et d’une personne à l’autre, Elijah Wood a eu écho du film. Il a beaucoup aimé l’idée, a voulu lire le scénario et il s’est investi dans le projet. A partir de là ça a été plus simple.
Vous avez également fait un roman graphique à partir du scénario, était-ce une étape préliminaire au film ?
Ça s’est fait simultanément, car quand j’écris un film, je pense à l’histoire de chaque personnage : Arash, son père, la prostituée, le mac, je connaissais toute leur histoire, mais je voulais que les acteurs se l’approprient, pour qu’ils comprennent qui ils sont et d’où ils viennent. Pour la vampire aussi, j’avais toute son histoire, toutes les 186 années de sa vie, donc je disposais de ce matériau en faisant ce film. Je me suis dit que j’allais faire quelque chose de tout ça. J’ai eu de la chance car deux de mes producteurs exécutifs voulaient commencer à faire un comic book et savaient que j’avais ce projet en tête donc nous avons commencé à le mettre en place. La deuxième édition va paraître le mois prochain et il y en aura 6 pour faire le premier volume, qui paraîtra donc vers juin 2015.
Est-ce que ce comic book vous a aidée à concevoir l’aspect visuel du film ?
Les dessins ont pris beaucoup de temps à faire, c’est quelqu’un d’autre qui les a réalisés : j’avais l’histoire mais pas les dessins. Donc ça aidait juste pour les personnages.
C’était votre premier long-métrage, avez-vous ressenti de grosses différences par rapport à vos courts-métrages ?
Un an avant de faire A Girl Walks Home Alone At Night je suis partie en Allemagne pour cinq mois et j’ai fait un court-métrage à Berlin, A Little Suicide, qui était en stop motion. C’était à propos d’un cafard très déprimé parce que tout le monde le déteste, et qui décide donc de se suicider. Le jour où il va se suicider, tout le monde est gentil avec lui, il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il a fallu 21 jours de tournage pour faire ce court-métrage. C’était six semaines de préparation, 21 jours de tournage et deux mois de post-production. Juste après avoir fini le tournage, je me suis dit : « Merde, j’aurais pu faire un long-métrage pendant tout ce temps. » La seule différence est une différence de temps. La plupart du temps, mes courts ont été tournés en un ou deux jours. Chaque film est différent. C’est comme tomber amoureux ou se mettre avec quelqu’un : chaque relation est différente, chacune a son propre lot de problèmes et aussi de magie, des choses qui marchent, d’autres non. La fois suivante, grâce à tout ce qu’on a vécu auparavant, on sait davantage qui l’on est et ce que l’on veut.
Comment avez-vous travaillé avec Lyle Vincent, votre directeur de la photographie ?
Il est en quelque sorte comme mon âme sœur, en ce qui concerne la caméra et le style visuel. Il est génial et a une énergie incroyable ! La première fois que nous avons parlé, nous avons découvert que nous aimions tous les deux David Lynch et Sergio Leone, et que nous avions une esthétique similaire, qui est devenue une base commune à notre collaboration. Au tout début, après lui avoir fait lire le scénario, nous avons regardé trois films : Sailor & Lula, Rusty James et Il était une fois dans l’Ouest. C’était les ingrédients de base au langage cinématographique que nous allions partager et tout est parti de là. La chose la plus importante chez Lyle, pour moi, c’est qu’il y a une confiance totale entre nous. Pendant un tournage, le temps passe très vite, on fait tout le temps des choix, des sacrifices, car on n’a pas le temps, la voiture ne démarre pas, il pleut, mille choses peuvent arriver et si l’on ne fait pas confiance à la personne qui est à nos côtés, si l’on ne sent pas que cette personne est présente avec nous, comme l’était Lyle avec moi, ça ne fonctionne pas. Il va d’ailleurs faire la photographie de mon prochain film, en couleur et en anglais !
Ce n’est pas une dynamique que vous avez auparavant trouvée pendant vos courts-métrages ?
C’était une dynamique différente. Sur quelques jours ou même une journée on peut comparer cela à un coup d’un soir. Quand on est dans une relation longue avec quelqu’un, on voit ce qu’il y a en profondeur. Les courts-métrages sont trop courts pour découvrir cela, on prend moins de risques. Un long-métrage peut prendre 5 ans de votre vie. C’est pour cela que c’est très important de bien choisir les personnes avec qui l’on travaille. Autrement ce serait comme être coincé dans un mauvais mariage !
A l’image, le motif du double et les miroirs sont très présents : on voit le vampire imiter les actions de plusieurs personnages, comme le reflet d’un miroir. Qu’avez-vous voulu exprimer par-là ?
Oui, Sheila, qui interprète la fille, imitait tout tout le temps, nous en avons parlé. Son personnage est dans le monde de manière très physique, tandis que nous avons l’habitude d’être au monde de façon mentale. Elle est une créature, elle est différente des gens et en a conscience. Cette imitation est une manière de communiquer et aussi d’être dans le monde, d’observer le comportement des uns et des autres. Ces gens, nous ne savons pas qui ils sont, les miroirs sont une manière de montrer les filtres à travers lesquels nous voyons les individus. C’est aussi une attitude très prédatrice : si l’on pense au serpent, au mouvement des cobras. Les chats aussi, ils sont aux aguets. En ce qui concerne les miroirs, je pense que c’est davantage un outil de création que nous avons utilisé pendant le tournage. C’est également une manière de jouer avec le mythe du vampire, car leur image ne s’y reflète pas.
A propos des acteurs, vous avez travaillé avec Sheila Vand sur l’un de vos précédents courts-métrages, Pashmaloo, l’aviez-vous en tête au moment de rédiger le scénario ?
En effet, elle a également participé à Pashmaloo et à The Book. J’étais en Allemagne à ce moment là, pour le film avec le cafard, et je pensais au personnage du vampire en me disant que je voulais la voir dans ce rôle. Nous nous sommes retrouvées à New York, elle n’avait pas encore lu le scénario mais je lui ai parlé du film et elle m’a immédiatement dit qu’elle était partante. Ça a toujours été elle, tout comme pour le rôle d’Arash, joué par Arash Marandi. Je l’avais rencontré en Allemagne et j’ai écrit le rôle pour lui, c’est pourquoi le personnage s’appelle Arash. Je connaissais tous les acteurs et j’ai écrit les rôles pour eux. Je n’avais pas encore trouvé le petit garçon et j’ai été chanceuse de tomber sur un garçon aussi fantastique, et de trouver le chat aussi. Ils ont tous accepté immédiatement.
Vous avez choisi de situer l’action de votre film dans une ville fictive, néanmoins les références à l’Iran sont présentes. Y a-t-il des réalisateurs iraniens dont vous appréciez le travail et qui vous ont inspirée ?
Pas particulièrement, je n’avais pas en tête l’idée de faire un « film iranien ». Sergio Leone était italien et faisait des westerns américains en Espagne. Faire un film ce n’est pas suivre des règles préétablies ou être fidèle à un pays particulier. Ce qu’il y a dans ta tête est tout ce qui importe. En tout cas c’est ce qui se passe pour moi, je ne me prononce pour personne d’autre. Je prendrais l’exemple de Bruce Lee, que je considère comme l’une des vitamines les plus importantes pour mon cerveau. Je ne parle pas de ses films – j’aime ses films aussi -, mais quand on lit les livres qu’il a écrit et qu’on s’intéresse à sa manière de voir l’art et la création, dans les arts martiaux, l’important est d’être présent à soi. Si l’on se focalise trop sur un résultat, à vouloir gagner ou à avoir peur de perdre, on n’est pas présent aux choses. Je pense toujours à lui en me demandant « Que ferait Bruce Lee ? ». La magie de son art, c’est qu’il avait toujours différents points de vue sur les choses. L’eau est plus forte que la pierre, car l’eau peut prendre n’importe quelle forme.
Parlons de musique maintenant : beaucoup de séquences ressemblent parfois à des clips musicaux. Y avait-il des moments d’improvisation pendant ces scènes ? Par exemple quand Arash et la fille se retrouvent dans la chambre de cette dernière.
Oui, la musique est la pièce maîtresse de nombreuses séquences. Pour celle-ci, nous avions fait des répétitions. Mon idée principale était la suivante : quelle est la manière la plus lente par laquelle on peut combler l’espace entre deux personnes ? Toute la magie et l’alchimie sont arrivées dans l’anticipation de ce contact. Donc c’était comme sentir que deux choses étaient sur le point de se toucher : il y a beaucoup d’énergie entre elles et ça se sent. Quand Arash arrive et que le spectateur sait qu’ils se rapprochent, ce n’est pas naturel de bouger aussi lentement. Nous avons fait beaucoup d’essais. C’est un film, c’est une construction. Et puis les acteurs en ont fait quelque chose à eux. Par exemple, la fille devait écouter les battements du cœur d’Arash et Sheila a improvisé le moment où elle fait basculer sa tête en arrière. Mais il y avait toujours une certaine chorégraphie des mouvements.
Vous êtes vous-même musicienne, n’étiez-vous pas tentée de composer quelques-unes des musiques du film ?
Je pense que c’est ce que je finirai par faire un jour ! J’avais l’idée d’un film où la fille serait dans un groupe et je me disais que je composerais toute la musique de son groupe… En tout cas pour le moment, c’est plus comme si je programmais la musique. J’adore la musique parce qu’on peut vivre à l’intérieur d’une chanson, ça ne vieillit pas. C’est exceptionnel d’avoir toujours autant d’amour pour une chose qui nous fait toujours revivre les mêmes émotions. Black Bird des Beatles, par exemple, ce morceau est si triste et si beau que ça me donne envie de pleurer à chaque fois que je l’entends, c’est incroyable. J’aimerais être capable de ramener ça dans un film. La musique rassemble les gens tout comme un film amène les spectateurs à regarder dans une seule direction.
Connaissiez-vous certains des musiciens qui ont participé à la musique du film ?
Oui, il y a deux groupes iraniens, Kiosk et Radio Tehran, je les connaissais et je connaissais leur musique, donc je les ai contactés. Pour la musique western spaghetti, j’avais appelé l’un des membres du groupe Federale un an avant de faire le film et il m’a parlé du guitariste de The Brian Johnstown Massacre. Il avait un projet avec lui, de la musique western spaghetti sombre et inquiétante. Il me l’a fait écouter et j’ai tout de suite pensé que j’avais trouvé la musique du film. Il y avait également les White Lies et quelques autres morceaux dont je ne connaissais pas directement les compositeurs, mais que j’ai contactés et qui ont immédiatement adhéré au projet. Donc j’avais déjà toute la musique quand j’ai commencé à écrire le script. Je fais toujours ça. Par exemple mon prochain film, le tournage va commencer au printemps et la musique est déjà prête.
Est-ce que c’est le même genre de musique ? Quel sera le sujet de votre prochain film ?
C’est un peu différent, plus psychédélique, techno, il y aura toujours une influence western… Le film a pour titre The Bad Batch et c’est une romance sur fond de désert apocalyptique. Comme dans Mad Max 2, il y a des factions post-apocalyptiques dans un désert, mais c’est plus psyché. C’est comme si Mad Max rencontrait El Topo de Jodorowsky, et c’est l’histoire d’un cannibale qui tombe amoureux de sa nourriture.
En voyant votre t-shirt à l’effigie de David Lynch, je ne peux m’empêcher de vous demander : quel serait votre film préféré de ce réalisateur ?
Eh bien j’ai l’impression que pour le reste de ma vie, et dans tous mes prochains films, je ressentirai l’influence de Sailor & Lula. Je ne sais pas pourquoi. J’aime ses autres films, mais celui-là a une place particulière. Je pense qu’apprécier un artiste, ce n’est pas tellement aimer chacune de ses œuvres, c’est quelque chose de plus global. Je l’aime comme j’aime Bruce Lee, je suis heureuse qu’il existe et qu’il fasse ce qu’il fait, qu’il soit qui il est et qu’il partage ce qu’il a dans la tête. J’aurais du mal à regarder de nouveau Eraserhead, je peux regarder Sailor & Lula une centaine de fois et c’est ce que je fais. C’est également l’une des références dans mon prochain film. J’ai fait regarder Elephant Man à Arash, parce que son personnage était un peu comme le personnage principal, un mec étrange qui n’est pas à sa place. C’est son approche de la création et de la réalisation, sa façon d’être, que j’admire chez David Lynch. C’est une approche qui demande des tripes !
Propos recueillis à Paris le 10 septembre 2014
La critique du film : ICI
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