Trois fois pas rien
Le 25 janvier 2008
Un film sur l’enfance sacrifiée, d’une tristesse inconsolable et d’une inventité formelle inouïe. On ne l’écrit pas souvent, alors écrivons-le : chef-d’œuvre.
- Réalisateur : Pirjo Honkasalo
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Finlandais
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– Durée : 1h46mn
– Titre original :Melancholian kolme huonetta
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Un film sur l’enfance sacrifiée, d’une tristesse inconsolable et d’une inventité formelle inouïe. On ne l’écrit pas souvent, alors écrivons-le : chef-d’œuvre.
L’argument : Première chambres : les enfants soldats de l’Académie de Kronstadt, orphelins ou enfants de familles nombreuses, soumis à une discipline militaire pour en faire des "héros" russes.
Deuxième chambre : Grozny. Des enfants vivent dans des ruines, une femme recueille les orphelins et les enfants dont les mères malades ne peuvent s’occuper.
Troisième chambre : un camp de réfugiés à la frontière de l’Ingouchie. Des Tchétchènes dansent sous les bombardements, les enfants suivent et regardent les "héros" tchétchènes.
Notre avis : Quand la forme est la meilleure amie du fond. Ou comment transformer un sujet a priori peu frivole en objet de cinéma passionnant ? Comment arriver à retranscrire des émotions aussi subtiles par le simple mode de l’ellipse et le refus des commentaires tannants ? Tant de questions qui taraudent à la vision de ce documentaire d’une humanité déchirante, tourné en équipe très réduite, dont les images précieuses glacent le sang. Fragmenté comme son titre l’indique en trois chambres ("Nostalgie", "Respiration", "Souvenir"), le film donne à voir le conflit tchétchène du point de vue d’enfants meurtris et désenchantés. Alors qu’on craint au préalable l’exposé pesamment didactique et le passage en revue de tous les écueils du genre (complaisance, hystérie générale, dramatisation à outrance.....), il n’en est rien.
L’ensemble ne devient cohérent qu’à la fin des trois parties. Prises séparément, elles révèlent chacune d’immenses qualités mais tout l’intérêt réside dans l’interaction née entre les segments. Cela donne lieu à des réactions et des contrastes éminemment surprenants. La première partie s’intéresse à des enfants orphelins qu’on forme pour devenir des petits soldats et de la future chair à canon. La seconde, en noir et blanc, sans doute la plus poignante, bascule de l’autre côté du miroir, en plein dans le chaos d’une capitale tchétchène en ruines (l’utilisation judicieuse du noir et blanc renforce la dimension cauchemardesque). La dernière et troisième partie, plus métaphorique, teintée d’onirisme, avec ses chevaux blancs qui tremblent au son des déflagrations, renforce une tonalité sciemment absurde où des Tchétchènes, à la frontière de l’Ingouchie, dansent sous les bombardements. Le procédé paraît simple, il est exploité avec une intelligence rare.
Ceux qui ont déjà vu Le mur (Yilmaz Guney, 83) savent combien les regards perdus d’enfants peuvent hanter une vie de cinéphile ; ceux des Trois chambres de la mélancolie feront de même. Ce film appartient à cette catégorie précieuse d’un cinéma libre et téméraire dont la sincérité transperce le cœur et qui ne demande qu’à vivre. Tout ce grand charivari d’une puissance indiscutable flagelle les viscères et accouche d’une espèce rare à la beauté nue, d’une rigueur incroyable dans le propos et d’une inventivité formelle inouïe ; un film à haut risque, en danger, dont chaque plan s’arrache des tripes sa livre de chair, en quête d’une autre manière de montrer la connerie de la guerre. Sans conteste l’un des plus grands objets filmiques que vous verrez cette année au cinéma.
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