Whisky

Entre parole impossible et tentation du bonheur, Whisky joue des sentiments sur le fil du rasoir.

L’argument : Marta travaille dans la petite fabrique de chaussettes de Jacobo. Elle arrive la première, part la dernière, et sa conversation se limite à quelques formules de politesse immuables. Lorsque le frère de Jacobo arrive du Brésil pour quelques jours, celui-ci demande à Marta de se faire passer pour son épouse.

Notre avis : Whisky, c’est ce mot que l’on prononce pour avoir l’air de sourire, devant le photographe. C’est l’histoire de ce leurre, de cette parodie de bonheur, de couple, d’harmonie, c’est tout ce qui se cache derrière les apparences. Marta a la couleur des murs. Une mèche triste maintenue par une pince, sur la bouche, le pli de ceux qui ne savent plus sourire. La vie coule sans saveur particulière, mais surtout sans surprises, tout juste éclairée par des chansons d’amour des années 60 qui éveillent comme une nostalgie dans ses yeux. L’arrivée d’Herman va bouleverser cet ordre, changer la donne, lancer les personnages dans une histoire qu’ils savent fausse, qui n’est rien d’autre qu’un arrangement, un contrat, une prestation rémunérée. Seulement, Marta, derrière son silence, son insignifiance, va voir s’entrouvrir un possible, s’ouvrir à la vie, sortir d’elle-même.
La métamorphose est subtile. Une coupe de cheveux que Jacobo ne remarque même pas, un chemisier imprimé. Puis au fil de ces quelques jours, lors d’une escapade au bord de la mer, Marta va naître, devenir femme, puisque c’est ainsi qu’elle se voit dans les yeux d’Herman, à mesure que Jacobo se replie, se ferme, incapable d’être dans la vie. Quand il ne peut proposer à Marta qu’une "rétribution", Herman, lui, dans une scène de karaoké bouleversante, lui offre sa chanson, celle qui la fait rêver, qui parle d’amour, de pluie, de vent dans les cheveux et de fleur que l’on offre.
Whisky, c’est le film de la parole impossible, du refus de dire, de peur de fissurer la carapace, si près du désespoir. Ces quelques jours vont suffire à Marta pour savoir, pour apprendre, pour connaître le goût du bonheur avant que s’achève la représentation. Pour Jacobo, presque rien ne se sera passé. La vie suit son cours, quoi qu’il arrive.
Après 25 watts, Juan Pablo Rebella et Pablo Stoll nous tiennent ici sur le fil de l’intime, au bord du cœur de ces personnages. Herman apporte le rire, la fantaisie, la couleur, Jacobo sait que pour lui, tout est fini. Marta, entre les deux, reste le personnage le plus lumineux, transcendée par un bonheur éphémère, bâti sur un leurre, qu’elle savoure sans illusions mais sans en perdre une miette. Rien ne se passe, rien ne se dit, mais tout transparaît dans une interprétation magistrale qui laisse émerger le non-dit et fait osciller sans cesse les personnages entre deux bords, celui des vivants et celui des morts.