Gagner sa vie
Le 13 septembre 2022
Film-documentaire. Film-déclaration d’amour. Film-paradoxe. Le trio gagnant pour ce chef-d’œuvre de la Nouvelle Vague qui dresse un fidèle portrait de la société des années 60, à travers le parcours d’une jeune prostituée au caractère bien trempé.
- Réalisateur : Jean-Luc Godard
- Acteurs : Anna Karina, Henri Attal, Alfred Adam, Sady Rebbot, Monique Messine, Peter Kassovitz, Joëlle Robin
- Genre : Comédie dramatique, Noir et blanc
- Nationalité : Français
- Distributeur : Solaris Distribution, Panthéon Distribution
- Durée : 1h24mn
- Date télé : 11 mars 2022 21:00
- Chaîne : France 5
- Reprise: 15 février 2017
- Titre original : Vivre sa vie
- Date de sortie : 20 septembre 1962
Résumé : Nana fréquente depuis quelques années Paul, un journaliste raté. Nana s’ennuie et voudrait changer de vie, même si elle éprouve encore de la tendresse pour Paul. Elle aimerait surtout résoudre ses problèmes d’argent. Un soir, elle accepte de suivre à l’hôtel un inconnu rencontré sur les Champs-Elysées et se livre à la prostitution…
Critique : Peu connu de nos jours, ce long-métrage est un film phare de la « période Anna Karina » de Jean-Luc Godard. Usant des codes de la Nouvelle Vague, Vivre sa vie, malgré le souci apparent de réalisme, nous rappelle sans cesse que ce que l’on voit n’est que du cinéma, que ce soit par le biais de plans discontinus, entrecoupés de « chapitres » indiquant le passage au tableau suivant ou par la mise en scène de personnages qui « jouent » les acteurs. Guidé par une prodigieuse bande-son composée par Michel Legrand, le spectateur est invité à suivre les errances de Nana - qui n’est pas sans rappeler la Nana de Zola - une jeune femme en quête de reconnaissance et de liberté, pour qui « vivre sa vie » consiste avant tout à gagner sa vie. Son rêve : faire du théâtre ou du cinéma. Sa quête : l’indépendance, financière et vis-à-vis des hommes. Sans domicile et gagnée par l’ennui, c’est dans la prostitution que l’héroïne va se plonger, alors que ses errances la mènent sur les trottoirs de la capitale et la poussent dans les bras de son premier client. Prise dans l’engrenage du métier, elle se retrouve bientôt dans une maison de passes, entre les mains de Raoul, le maquereau glacial et impartial qui lui dresse le portrait de la « bonne prostituée », docile produit de consommation. C’est là le paradoxe le plus criant du film, qui met en scène une jeune insoumise à la recherche de liberté, qui choisit néanmoins de vendre son corps. Oui, car c’est un choix, que Nana assume et prône, derrière lequel flotte l’écho sartrien de la philosophie existentialiste. « Moi, je crois qu’on est toujours responsable de ce qu’on fait », rétorque-t-elle à son amie Yvette. Godard le misogyne, dira-t-on encore... Pourtant, à aucun moment la description de la vie de prostituée n’adopte ce ton pathétique que l’on retrouve si souvent dans les films traitant du sujet. Loin d’être victimisée, Nana est présentée comme une femme libre, qui trouve dans cette indépendance financière un moyen d’exister pour elle-même et par elle-même.
Finalement, c’est un film documentaire, une étude sociologique de son époque que nous donne à voir le réalisateur, à travers Nana. Paradoxe d’une femme à la fois libre et soumise, Nana incarne l’image de LA femme d’une société donnée, et c’est ce qui fait la force du projet. Du côté technique, c’est l’utilisation répétée des travellings montrant les prostituées sur les trottoirs de Paris, l’omniprésence des bruitages évoquant la vie quotidienne et surtout la voix de Raoul en off décrivant la vie des filles de la rue- incluant des détails pratiques et des articles de loi – qui donnent au film son aspect documentaire. Pour la petite histoire, Godard s’est appuyé sur le livre Où en est la prostitution ? de Marcel Sacotte, effectuant un véritable travail de recherche. D’ailleurs, la prostitution deviendra par la suite un thème récurrent de l’œuvre du cinéaste, puisqu’elle sera l’objet des films Masculin, féminin, Deux ou trois choses que je sais d’elle, La Chinoise, ou encore Sauve qui peut (la vie). Le quotidien des années 60 est sans cesse convoqué, que ce soit au travers de la présence du philosophe Brice Parain ou encore de l’affiche de Jules et Jim.
Enfin, que dire de la performance d’Anna Karina ? Somptueuse et émouvante, elle est l’élément central du film : on ne voit qu’elle, les gros plans sur son visage – tellement expressif qu’elle fait penser à ces grandes tragédiennes – sont indénombrables et rappellent que le réalisateur a conçu son œuvre avant tout comme une déclaration d’amour à celle qui, après avoir été sa muse, est devenue son épouse. Les autres personnages semblent n’être que des faire-valoir, destinés à donner la réplique à Nana, d’ailleurs très souvent en hors-champ. « C’est notre histoire, un peintre qui fait le portrait de sa femme », conclut-t-il à la fin du film, lorsque le jeune homme – à travers sa propre voix – lit Le Portrait ovale de Poe, usant d’un joli procédé de mise en abyme. Quant au « message » délivré, s’il y en a un, il apparaît sur l’écran dès les premières minutes, emprunté à Montaigne : « Il faut se prêter aux autres et se donner à soi-même ». Une sentence qui tombe à pic pour lancer le sujet...
En bref, une belle réussite que ce film en noir et blanc, qui fit pourtant face à de nombreuses difficultés lors du tournage, dont la tentative de suicide d’Anna Karina.
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Chahinez 7 novembre 2022
Vivre sa vie - Jean-Luc Godard - critique
Magnifique Anna Karina à couper le souffle dans cette interprétation