L’Echange
Le 11 mars 2017
Cianfrance trousse une histoire de paradis perdu au lendemain de la grande guerre. Tantôt touchée par la grâce, tantôt par un possible dénuement. Une réussite, néanmoins, grâce au mutisme rageux de Fassbender et à l’ingénuité de Vikander.
- Réalisateur : Derek Cianfrance
- Acteurs : Rachel Weisz, Michael Fassbender, Alicia Vikander
- Genre : Drame, Romance
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Metropolitan Video
- Durée : 02h10mn
- Box-office : 79.428 (entrées France), 12.545.979 (recettes en $)
- Titre original : The Light Between oceans
- Date de sortie : 5 octobre 2016
- Festival : Festival de Venise 2016
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– Année de production : 2016
– Mostra de Venise 2016
– Sortie DVD & blu-ray : le 6 février 2017
Résumé : Sur une petite île sauvage perdue au large de l’Australie, peu après la Première Guerre mondiale, Tom Sherbourne, le gardien du phare, vit heureux avec son épouse Isabel. Loin du tumulte du monde, il peut enfin oublier tout ce qu’il a vécu au combat. Mais leur bonheur se ternit peu à peu : Isabel ne peut pas avoir d’enfant, et elle se désespère... Un jour, un canot vient s’échouer sur la plage, avec à son bord le cadavre d’un homme et un bébé bien vivant. Isabel supplie son mari de garder le secret, de passer outre le règlement et de ne pas signaler l’événement. Elle veut garder l’enfant et l’élever comme le leur... Par amour pour sa femme, Tom accepte. Mais la réalité va les rattraper et le secret ronger leur coeur et leur vie...
Notre avis : Une vie entre deux océans s’articule tout entier sous le signe de Janus, dieu des commencements et des fins, des portes et de passages. Comme Michael Fassbender, qui travaille comme gardien de phare pour le Commonwealth sur une île australienne du nom de la figure mythologique, le film est polarisé entre deux versants contraires : la possibilité d’un destin idyllique et son revers dystopique pavé de tragédies. Tom (M. Fassbender) incarne à la perfection ce paradoxe, lui dont le mutisme et la sympathie cachent en réalité une douleur insoutenable provoquée à la fois par une enfance tourmentée et le trauma de la guerre. Toujours aussi obnubilé par la métaphore biblique - le titre original "The Light Between Oceans" marque bien cette généalogie -, Derek Cianfrance a pensé son personnage comme le veilleur d’un paradis perdu : un brin de nature prisonnier des flots, où la lumière du phare, toujours doit permettre au tout venant de ne pas sombrer sur ses cotes. L’image parle d’elle-même. Parce que Tom a cédé à sa femme une nuit et n’a pas veillé à alimenter la flamme du phare - allégoriquement le bien et la vie -, un cas de conscience se pose, suivi d’une série de tragédies s’abattant sur son couple - fatum annoncé par le piano désaccordé. Par amour pour elle, ses choix auront raison de leur bonheur - parce que la morale. Le personnage se veut ainsi quelque part celui accordant à tout un chacun l’accès au pardon et au salut - supplice rédempteur. À la fois dans sa mise en scène et son propos, Une vie entre deux océans rappelle Terrence Malick, qui depuis La Balade sauvage et Les Moissons du ciel joue de cette logique de souffle divin. Les océans déchaînés, la nature invincible, la focalisation interne en plans rapprochés sur les protagonistes arpentant des espaces vierges... tout ce dispositif de douce claustration suscite dans le même temps respect envers la nature et appréhension face à ses caprices. Ainsi en est-il aussi du caractère de Tom, toujours entre deux mers, chaque fois comme sur le point de s’abattre sur le monde.
Copyright 2016 Constantin Film Verleih
Cette histoire métaphysique filmée avec application - la belle photographie donne à penser des océans gouvernant les sentiments et destins de tous - va de pair avec un sens inouï du paysage mental, principal ressort du film. Cianfrance ne cache pas non plus sa sensibilité pour le cinéma classique : la trame, adaptée du roman de M. L. Stedman, ressemble notamment à l’un des plus beaux mélodrames de Joseph L. Mankiewicz, L’Aventure de madame Muir, dont le cinéaste singe la silhouette fantomatique finale en surimpression du générique de clôture, de même que le montage des instants de grâce du couple pour conjurer la fatalité et la séparation. Belle définition romantique d’un cinéma capable de racheter jusqu’à l’amour, bien qu’il s’agisse d’une citation. Néanmoins, le film de Cianfrance n’est pas sans failles, à commencer par un récit parfois lourdaud et un rythme un peu mono-maniaque. Tout en intériorité et en tension rentrée, le personnage de Tom s’avère le noeud de Une nuit entre deux océans, son énigme. Celui matérialisant dans la chair le courroux et la honte d’un monde tempêtueux et décimé par la noirceur de l’Homme. Au-delà de ce rôle et de celui de sa femme - fragile et passionnée Alicia Vikander -, être sous influence bouleversé par la nature organique, et par-delà aussi la désespérée Rachel Weisz, le long métrage de Cianfrance ne trouve pas toujours le mouvement intérieur qui le ferait passer à la postérité. Bien que brillante, la musique d’Alexandre Desplat ne réussit pas à faire agir le sortilège. L’on cherche par moment le débordement, et ce bien que l’émotion et le drame soient souvent palpables, derrière la simplicité du maillage discursif. Quand par ailleurs le film s’autorise au contraire des instants de pure suspension, ne serait-ce que lorsque Tom ou Isabel avancent guidés par un son étrange - le chant d’une femme éplorée pour l’un, les pleurs d’une enfant pour l’autre. Le surnaturel, dès lors, n’est pas loin de fissurer l’édifice, et atteint l’espace de quelques secondes la transe qu’il cherchait jusqu’alors. Il faut cependant composer avec des péripéties lancinantes - le hochet en argent, bien trop prévisible - et peut-être un peu trop appuyée, déjouant aussitôt les espérances que l’on plaçait en l’œuvre. Pas de quoi pour autant nier le talent de Derek Cianfrance, qui confirme, sans remporter la manche, un certain génie à peindre les fresques tragiques, à dévoiler l’obscurité larvé sous la lumière, la monstruosité tapie sous la bonté. Deux visages, évidemment, Janus que nous sommes. Reste à savoir ce que le réalisateur vaudrait une fois délesté de son mimétisme religieux et mystique, et de son écriture moraliste.
Un blu-ray somptueux pour répondre aux habiles lenteurs de ce mélodrame littéraire, qui convoque la beauté de ses paysages tourmentés et de comédiens torturés, au cœur d’une histoire d’adoption contre nature qui soulève les sentiments. Après une réception glaciale au cinéma, le blu-ray peut lui rendre une belle seconde vie. Edité chez Metropolitan Vidéo.
Les suppléments :
Il est temps de découvrir l’approche insulaire du réalisateur de The place Beyond the Pines, Derek Cianfrance, et de Michael Fassbender, dans un décor d’île sur le toit du monde. Ce décor tient une place importante dans les suppléments où acteurs et cinéaste participent à cette approche psychologique. L’effort d’adaptation est explicité de façon pertinente. Cela donne envie de se plonger dans le roman de M.L. Stedman, dont on ressent ici les embruns littéraires.
– Porter le roman à l’écran (20’ - VOST)
– Le gardien du phare (10’ - VOST)
– Commentaire audio (VO)
L’image :
Très belle image qui investit les contours désolés d’un décor morne, de cinéma mélancolique. L’image est volontairement sombre, mais toujours précise.
Le son :
Le souffle du vent vient fouetter l’oreille en 5.1 DTS HD, VO, seule piste que nous avons testée, par respect pour cette oeuvre à découvrir dans sa langue d’origine, pour la beauté de ses dialogues originaux et des accents.
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