Cuisson saignante
Le 20 juillet 2011
Drôle, fin et incisif : l’humour anglais a encore frappé.
- Réalisateur : Michael Winterbottom
- Acteurs : Steve Coogan, Margot Stilley, Rob Brydon, Marta Barrio
- Genre : Comédie
- Nationalité : Britannique
- Durée : 1h47mn
- Titre original : The Trip
- Date de sortie : 20 juillet 2011
L'a vu
Veut le voir
Drôle, fin et incisif : l’humour anglais a encore frappé.
L’argument : Steve Coogan, célèbre acteur anglais, est sollicité par un magazine pour chroniquer plusieurs restaurants chics du Nord de l’Angleterre. Alors qu’il prévoyait de voyager avec sa fiancée, Misha, celle-ci décide de partir aux Etats-Unis faire le point. Incapable de voyager une semaine seul, Steve se résout à contacter Rod Brydon, le seul de ses amis disponibles.
Notre avis : La triade Michael Winterbottom-Steve Coogan-Rod Brydon est visiblement une affaire qui marche. Après 24 Hour Party People et Tournage dans un jardin anglais, l’opus The Trip sonne la troisième collaboration entre les deux comédiens et le cinéaste, prolifique et insaisissable. Winterbottom est en effet connu pour être un véritable touche-à-tout, ayant aussi bien goûté de la comédie que du drame, du thriller, du documentaire, du film historique, du film politique, et même du western et de la SF.
Fidèle à sa réputation d’expérimentateur des récits et des formes, le réalisateur anglais met ici en œuvre un dispositif particulier, dont le capiteux Mystères de Lisbonne et le biopic Carlos ont déjà donné l’exemple l’an dernier : The Trip est en effet la version condensée, pour le cinéma, d’une mini-série du même nom que Winterbottom a tournée pour la BBC. L’origine sérielle du film se fait d’ailleurs régulièrement sentir, à travers l’histoire de ce "voyage" dans la campagne anglaise effectué par deux acteurs (chacun dans son propre rôle) sur la trace des meilleurs restaurants du pays. Les journées se succèdent comme autant d’épisodes, égrainant à chaque fois leur lot de virées en voiture, de conversations nonchalantes, de (beaux) panoramas du Nord de l’Angleterre et de pauses déjeuner chic, en répétant le même schéma. Il est d’ailleurs déconseillé de voir le film à jeun, vu que les plats plus exquis les uns que les autres font la ronde pendant près de deux heures - et à ce jeu, la cuisine française sort encore gagnante... Rien qui n’ennuie ou ne nuise à l’intérêt du spectateur pour autant : cette routine-là rappelle plutôt celle d’un Woody Allen, avec ce qu’il faut de crise existentielle et d’ironie mordante. Chaque scène de dialogue, affûtée et très piquante, a ainsi pour fonction de creuser un peu plus dans la chair de ses personnages. Pour se faire une idée de la "tendresse" de l’humour opérant ici, on retiendra particulièrement cet échange tout rhétorique : Brydon demande à Coogan s’il serait prêt à gagner un Oscar ou un Golden Globe au prix d’une maladie qui clouerait son gosse au lit pendant quelques jours. La proie, ainsi piégée, hésite (évidemment) une seconde de trop avant de répondre.
Le reste est à l’avenant. La cible principale de The Trip s’appelle donc Steve Coogan, qui fait preuve ici d’un sens de l’autodérision-destruction absolument inouï, et à travers lui l’idée d’un certain star system désormais dépassé. L’acteur-vedette, qui a pris un sacré coup de vieux, marine dans un confort bourgeois qui l’aigrie, l’enferme dans ses certitudes et endort son talent, face à une concurrence aux dents longues tuant sa carrière à petit feu. Le jeu de massacre est encore plus décapant quand on sait que Coogan, dans la réalité, est précisément un comédien en légère perte de vitesse, du moins au cinéma, où il enchaîne les rôles-cachetons depuis une bonne décennie (Le Tour du monde en quatre-vingt jours avec Jackie Chan, Percy Jackson, La Nuit au musée et sa suite...), ajusté à un moule hollywoodien qui affadit toute la particularité de son humour so british. La mise en abyme est cruelle et n’en fonctionne que mieux, renforcée par le filmage au style documentaire - c’est d’ailleurs le point faible du film, puisque la réalisation s’avère très quelconque, malgré le passé de documentariste de Winterbottom. Les références incessantes au poète Coleridge, auquel Coogan est régulièrement comparé dans le film (pour le meilleur comme pour le pire), viennent pimenter l’exercice de déconstruction, déjà à l’œuvre dans la précédente collaboration Coogan-Winterbottom, Tournage dans un jardin anglais, quoique de manière bien plus sophistiquée. En miroir, la présence du comédien Rod Brydon opère un contraste, certes très binaire. Coogan, qui interprète à merveille les pisse-froids, figure la star auto-satisfaite mais sur le retour, qui enchaîne les coups d’un soir mais demeure solitaire. Son acolyte, comédien plus discret, connaît tout de même son petit succès dans son coin et s’épanouit dans le bonheur conjugal. Les imitations de Brydon, célèbres en Grande-Bretagne, font d’ailleurs beaucoup du sel de The Trip, à condition d’être un puriste de la culture britanno-britannique (et là c’est un vrai festival, les effets de citations pleuvent : Michael Caine, Sean Connery, Ian McKellen, Anthony Hopkins etc).
Démarré comme un classique buddy-movie, The Trip se révèle ainsi beaucoup plus acide en profondeur, sans se donner des allures de satire ouverte pour autant. Au point de rappeler une autre comédie vacharde, elle aussi "en abyme", qui traitait déjà des affres de la célébrité et des (remises en) questions du comédien-roi : l’excellent Tonnerre sous les Tropiques, dans lequel Coogan tenait déjà un petit rôle. The Trip peut d’ailleurs être considéré comme le pendant plus intimiste, plus british, de la folie pyrotechnique de l’acteur-réalisateur Ben Stiller. A noter que ce dernier, lors d’un caméo génial, offre au long-métrage un clin d’œil complice et l’un de ses moments les plus hilarants. S’il ne restait pas à ce point arrimé à son origine télévisuelle, le film de Winterbottom constituerait une très belle surprise. Toutefois, un produit cinéma "compressé" qui donne envie d’aller regarder la série en entier, c’est tout de même bon signe, non ?
Le DVD : ICI
Galerie photos
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.