Dernier carré avant la fin du monde
Le 18 mai 2020
Après le prometteur Snow Therapy, Ruben Östlund scrute l’indifférence du monde contemporain au travers d’un système de mises en abyme d’une tautologie prétentieuse et étouffante. Malgré quelque chose d’assez stimulant intellectuellement, le cinéaste se perd en chemin si bien que l’on en oublie le pourquoi de l’intrigue et du destin des protagonistes.
- Réalisateur : Ruben Östlund
- Acteurs : Dominic West, Elisabeth Moss, Terry Notary, Claes Bang
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain, Français, Suédois, Danois
- Distributeur : Bac Films
- Durée : 2h22mn
- Date télé : 8 décembre 2021 20:40
- Chaîne : OCS City
- Box-office : 351 093 entrées France / 136 439 entrées Paris Périphérie
- Date de sortie : 18 octobre 2017
- Festival : Festival de Cannes 2017
Film présenté en compétition du Festival de Cannes 2017
Résumé : Christian est un père divorcé qui aime consacrer du temps à ses deux enfants. Conservateur apprécié d’un musée d’art contemporain, il fait aussi partie de ces gens qui roulent en voiture électrique et soutiennent les grandes causes humanitaires. Il prépare sa prochaine exposition, intitulée « The Square », autour d’une installation incitant les visiteurs à l’altruisme et leur rappelant leur devoir à l’égard de leurs prochains. Mais il est parfois difficile de vivre en accord avec ses valeurs : quand Christian se fait voler son téléphone portable, sa réaction ne l’honore guère… Au même moment, l’agence de communication du musée lance une campagne surprenante pour The Square : l’accueil est totalement inattendu et plonge Christian dans une crise existentielle.
L’avis contre : Östlund s’appuie ici sur un système très - beaucoup trop - structuré qui à force de répétitions va s’effondrer de lui-même. Le postulat de départ - pratiquement identique à celui d’arrivée, hormis une forme de prise de conscience du protagoniste central de la misère du monde et de sa sécheresse vis-à-vis des laissés pour compte - consiste à mettre en scène un micro-évènement comme une sorte de catastrophe en sourdine révélatrice de l’impassibilité et de l’individualisme, quelle que soit la situation. Puisque tout un chacun, de la petite bourgeoisie à la néo-noblesse, évolue dans sa sphère en toute indifférence sans jamais se soucier d’autrui à moins que quelque chose ne le fasse sortir de sa zone de confort et ôter son masque social, Östlund cherche à en déconstruire le mécanisme pour mieux le comprendre sinon le dénoncer.
Christian est un conservateur de musée reconnu dont la position dominante et la vision du monde dogmatique se voient un jour remises en question par une rencontre - micro évènement fondateur qui va structurer tous les autres. Une journaliste ne comprend pas l’installation ni la réflexion d’une artiste d’art contemporain au coeur de la prochaine exposition qu’il supervise, baptisée "The Square". Christian, jusqu’ici trop sûr de lui, doit se rendre à l’évidence en son for intérieur qu’il ne dispose pas de tout le corpus nécessaire pour expliciter la démarche en question. Même lors de son discours d’introduction à quelques jours de l’ouverture, le personnage feint d’abandonner un rapprochement pompeux entre les créations de la manifestation et la théorie de l’esthétique relationnelle de Nicolas Bourriaud – qui propose de juger les œuvres d’art selon les interactions humaines qu’elles figurent, produisent ou suscitent – afin de remédier à ses lacunes trop ostensibles. Un autre micro-évènement a déjà mis en branle ses certitudes et sa position dans l’échiquier social quelques heures auparavant, lorsque pensant intervenir en héros pour prendre la défense d’une femme, il s’était fait dérober son portefeuille et d’autres affaires. Les apparences, trompeuses, l’avaient alors amené à sortir de son mutisme et incarner un semblant d’humanité qu’il s’ignorait être en mesure de véhiculer.
- Copyright Alamode Film
Alors qu’Östlund tente de nous faire croire qu’il cherche avant tout à articuler son récit autour de Christian, son monde fallacieux, et sur le mode d’une critique du simulacre opéré par certains musées d’art contemporain avides de bénéfices, son obsession apparaît en réalité nettement plus réflexive et redondante. Car tout tourne en pratique autour de l’œuvre "The Square", un carré de quatre mètres sur quatre encadrant un espace donné. Ce carré symbolise la vision mentale d’un lieu où prévaudraient pour chacun l’égalité et l’altruisme de façon inconditionnelle. Une sorte d’utopie matérialisée dans l’espace social au sein de laquelle l’espèce humaine marcherait main dans la main et ferait abstraction de son masque social pour être à l’écoute ou venir en aide à autrui. Partant de ce dispositif illusoire – même si assez juste puisqu’il fixe les limites du possible et appelle au changement -, Östlund confronte tout au long du film de scène en scène cette vision à la réalité en acte. Ainsi, chaque anicroche ou accident dans le récit correspond à une mise en situation calquée sur l’œuvre "The Square". Bien évidemment, à aucun moment ou presque ne serait-ce qu’un semblant d’altérité ne transparaît à travers ces interactions pourtant interhumaines. Problème : le schéma a beau être pensé et repensé par le réalisateur, ce dernier ne réussit à aucun moment à dépasser le simple constat d’un monde malade. Dans cette dynamique, Yorgos Lanthimos ou Lars Von Trier s’étaient illustrés avec nettement plus de brio. Soulignons d’ailleurs en un sens que Dogville et dans une piètre mesure Manderlay reposaient en partie sur le même type de réflexion, en se gardant heureusement de forcer le trait.
- Copyright Alamode Film
Le fait de présenter une telle démonstration - aussi poussive soit-elle - à un parterre aussi narcissique et mal représenté socialement que le public du Festival de Cannes produit une mise en abyme dans un premier temps intéressante. D’ailleurs, la figure carré de "The Square", c’est aussi l’écran de cinéma, qui crée lui-même une récursivité de plus dans le réseau infini (cage d’escalier, tableau de cage d’escalier, fenêtre, etc.) tissé par Östlund sur chaque plan ou presque. Mais cela ne suffit pas à faire oublier ce sentiment d’incomplétude et de patinage que laisse le long-métrage. Dans ce film où plus rien ne respire à force de trop vouloir maîtriser la partie théorique, seuls l’étrange Anne (Elisabeth Moss) et le performer Oleg (Terry Notary, dont la performance mémorable et imperturbable dans la peau d’un singe rappelle Les Idiots de Lars Von Trier) disposent de scènes suffisamment enlevées pour retrouver un peu de cette organicité qui fait défaut dans The Square. L’on pourrait également saluer cet aspect de farce tragi-comique qui fonctionne la première heure et laisse espérer le meilleur. Malheureusement, le film se noie à mi-course et ne fait plus ensuite que répéter la même réflexion poussive ad nauseam. Une sortie de route bien regrettable, qui trouvera néanmoins sans aucun doute ses défenseurs.
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José-Louis Roldan 28 mai 2017
The Square : Palme d’or à Cannes 2017 - la critique (contre)
Bonjour,
Pourriez-vous indiquer les artistes compositeurs de musiques étant intervenus dans la réalisation du film ?
Merci de vos observations
Meilleurs sentiments