Le territoire du loup
Le 11 novembre 2020
Avec The Revenant, Alejandro González Iñárritu voulait faire un film « épique poétique ». Épique, le film l’est sans commune mesure mais poétique, beaucoup moins.
- Réalisateur : Alejandro González Iñárritu
- Acteurs : Leonardo DiCaprio, Lukas Haas, Tom Hardy, Will Poulter, Domhnall Gleeson
- Genre : Aventures, Western, Survival
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Twentieth Century Fox France
- Durée : 2h31mn
- Date télé : 26 novembre 2024 23:09
- Chaîne : Ciné+ Premier
- Box-office : 3 846 911 entrées France / 875 868 entrées P.P. / 183 637 894 $ (recettes USA)
- Titre original : The Revenant
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 24 février 2016
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Résumé : Dans une Amérique profondément sauvage, le trappeur Hugh Glass est sévèrement blessé et laissé pour mort par un traître de son équipe, John Fitzgerald. Avec sa seule volonté pour unique arme, Glass doit affronter un environnement hostile, un hiver brutal et des tribus guerrières, dans une inexorable lutte pour sa survie, portée par un intense désir de vengeance.
Critique : The Revenant sera t-il le Heaven’s Gate (La porte du paradis) d’Alejandro González Iñárritu ? La référence au film titanesque de Michael Cimino, échec commercial si cuisant qu’il mis son réalisateur au ban d’Hollywood, est en effet appropriée. The Revenant dépassa lourdement son budget initial et fût tourné dans des conditions si extrêmes que de nombreux membres de l’équipe abandonnèrent le projet en cours de route. Iñárritu, obsédé par la bonne tenue de sa vision artistique, choisit de tourner son film chronologiquement par souci de réalisme et en lumières naturelles, c’est-à-dire à peine quelques heures par jour, obligeant tout le monde à recréer méticuleusement les directives mises au point durant les répétitions. Et disons le tout de suite, l’application tyrannique avec laquelle il mis en scène l’ouvrage de Michael Punke est payante : The Revenant contient des séquences tout bonnement incroyables, jusqu’ici inédites au cinéma et se montre si jusqu’au-boutiste qu’il en est harassant de réalisme. Une expérience unique dont le succès commercial est loin d’être assuré, car si The Revenant bénéficie de la présence du très exigeant Leonardo DiCaprio, il s’étire sur plus de deux heures et demi dans une âpreté narrative totale et regorge de scènes d’une violence inouïe... The Revenant sera t-il « Alejandro’s Gate » ?
- © 2015 Twentieth Century Fox
« Les Indiens ne sont jamais aussi morts qu’on pense qu’ils le sont » nous dit John Fitzgerald, la vipère anguleuse qu’incarne Tom Hardy. Et il a raison. Après avoir laissé pour mort Hugh Glass (Leonardo DiCaprio), couvert de blessures et enterré vivant, ce dernier sort de sa tombe animé par la vengeance. Commence alors son éprouvant voyage à travers cette Amérique barbare où la nature est encore souveraine. Le froid, les animaux sauvages et ces arbres comme des grattes-ciels, la transpiration, la bave, les larmes, tout concours à l’âpreté du parcours en terre hostile. Pour la représenter, Alejandro González Iñárritu capture ces éléments dans des cadres étirés avec pour but de nous y immerger totalement. À l’intérieur de ces cadres, tout bouge, tout s’agite, la caméra navigue constamment et jamais Iñárritu ne prend la pose statique, moyen usité pour contraindre son sujet à une sorte de solennité facile, mais privilégie la vitesse, le grouillement des hommes et de la nature pour nous transporter comme jamais dans les années 1820.
Dès la mise en route de Glass dans sa quête vengeresse, le voyage du personnage se ponctuera de nouvelles naissances qui le rendront plus fort, plus puissant. Dormant à l’intérieur d’une carcasse animale, Glass en ressort comme un nouveau-né dont les blessures ont comme disparu par magie. Il semble clair dans The Revenant que Glass n’est plus vraiment humain dès lors qu’il est sorti de sa propre tombe. Lorsque dans une courte scène son souffle vient engluer la caméra, Iñárritu y appose une vue du ciel engoncé dans la brume. Conservant en off le son de la respiration de Glass, il réitère là une technique de montage ancestrale où l’association fait naître du sens. Si dans Lawrence d’Arabie, le personnage soufflait sur une allumette avant d’être transporté dans le désert saoudien (l’association nous indiquant dès lors comment il deviendra le Dieu du feu et donc du désert), l’association du souffle et de la brume dans The Revenant indique comment Glass devient le dieu du froid, comme si de son souffle naissait la brume, comme s’il pouvait dorénavant contrôler tout l’univers autour de lui.
- © 2015 Twentieth Century Fox
Si dans le sublime Le territoire des loups de Joe Carnahan, les survivants en venaient par la force des choses à faire appel à Dieu, se voyant sévèrement ignorés par celui-ci, The Revenant vient traiter ce sujet par opposition. Fitzgerald est un athée convaincu, raciste et méprisant envers le peuple indien. De ce fait, il s’oppose aux forces spirituelles qui entourent ces peuples et dont Glass est imprégné. La rivalité des deux hommes est un choc des civilisations autant qu’un choc des croyances. Si Glass devient plus en phase avec la nature au fur et à mesure de sa guérison, s’opposant ainsi totalement à Fitzgerald, seulement motivé par l’argent, il confirme ainsi son statut de Dieu. Tout son chemin initiatique consistera à réfuter ce statut de tout-puissant et de laisser aux véritables souverains de cette terre, les Indiens, le soin de décider de la vie et de la mort.
Avec The Revenant, Alejandro González Iñárritu avait donc pour note d’intention l’envie de faire un « poetic epic », un film « épique poétique » donc. Cette double proposition est justement au cœur de ce qui empêche son film de toucher au chef-d’œuvre, car épique, The Revenant l’est sans commune mesure, poétique par contre, beaucoup moins. Mais au delà de ce jugement somme toute subjectif, c’est la trop forte séparation entre les deux qui empêche bien souvent notre implication émotionnelle dans le récit. Si The Revenant regorge d’exploits techniques ahurissants, de plans-séquences déments et de chorégraphies de batailles fulgurantes, Iñárritu déploie une poésie souvent très stéréotypée. Les souvenirs de Glass, en particulier de sa femme et du village dans lequel ils habitaient reposent en effet sur une imagerie édulcorée qui tranche trop fortement avec l’âpreté du reste du film. Dans Le territoire des loups, Joe Carnahan faisait lui aussi naître un lyrisme inattendu chez ces survivants mais y trouvait une subtilité qui fait cruellement défaut à Iñárritu.
The Revenant passe donc tout près du statut de chef-d’œuvre. Visuellement éblouissant, d’une violence brute et soudaine à l’image de ces flèches dont l’impact sur le corps humain est pour la première fois au cinéma rendu avec une précision morbide, le film d’ Alejandro G. Iñárritu ne parvient pas à unifier le fond à la forme. Car de quoi veut-il nous parler ? De Dieu, de la vengeance, du racisme, de la survie, de la souveraineté indienne ? Par le jusqu’au-boutisme qui fait sa force, The Revenant se fait du même coup dangereusement hermétique. Ce qui ne l’empêche pas d’être une expérience unique et absolument indispensable.
- © 2015 Twentieth Century Fox
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