Bad Boys
Le 15 mai 2016
Architecte de séquence hors pair, Shane Black signe un buddy movie fracassant mais dont l’édifice s’effrite sur la longueur. Un cocktail burlesque sous marijuana prometteur pour la suite.
- Réalisateur : Shane Black
- Acteurs : Russell Crowe, Kim Basinger, Ryan Gosling, Matt Bomer, Margaret Qualley, Angourie Rice, Ty Simpkins
- Genre : Comédie policière, Buddy movie
- Nationalité : Américain
- Durée : 1h56mn
- Date télé : 19 mai 2024 21:00
- Chaîne : L'Équipe
- Âge : Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
- Date de sortie : 15 mai 2016
- Festival : Festival de Cannes 2016
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Résumé : Los Angeles, années 1970. Deux détectives privés enquêtent sur le prétendu suicide d’une starlette, Misty Mountains. Malgré des méthodes pour le moins "originales", leurs investigations vont mettre à jour une conspiration impliquant des personnalités très haut placées…
Critique : Depuis son apothéose en tant que scénariste dans les années 80-90 (L’Arme fatale, Last Action Hero, Le dernier samaritain...), chèrement payée par les studios mais pas toujours rentable pour ces derniers, Shane Black avait su rester discret. Après une période jalonnée de faste et d’excès entre 1987 et 1996, l’homme s’était presque fait oublier. Il n’y a guère qu’avec Kiss Kiss, Bang Bang en 2005 que celui-ci avait su de nouveau se faire un nom, dix ans après ses derniers faits d’armes. Huit ans plus tard, coup de poker, Black est choisi par Marvel pour réaliser et écrire Iron Man 3. Une belle façon de revenir sur le circuit par la grande porte, même s’il ne s’agissait que d’une commande. Nostalgique sans aucun doute de ses succès d’antan, l’Américain choisit cette fois de réunir toutes ses vieilles obsessions dans The Nice Guys : une intrigue policière musclée mâtinée de buddy movie, mais rehaussée d’un zeste de parodie confinant au burlesque. L’atmosphère de Los Angeles post-Nixon est une merveille : décors, costumes et bande originale disco funk en imposent, et ce, même avec une réalisation globale en retrait. S’il fallait résumer ce tableau connu de tous mais pour le moins fonctionnel, l’on évoquerait The Nice Guys comme un budd movie (Ryan Gosling et Russell Crowe, excellents) à la Raymond Chandler. Un trip arrosé de scotch et saturé de marijuana à l’instar d’un Inherent Vice, mais axé grand public.
- Copyright EuropaCorp Distribution
Il ne faut pas s’attendre à une structure scénaristique si bien ficelée qu’elle garderait ses derniers pions jusqu’au bout, ou parviendrait habilement à induire en erreur le spectateur. Non, la puissance de The Nice Guys ne doit pas se mesurer sur la longueur, mais au niveau des séquences prises les unes indépendamment des autres. Certes, un réseau de connexions existe bien entre elles et c’est tant mieux, mais il est crucial de s’intéresser à chaque scène en elle-même pour comprendre la densité de l’écriture. Prenez un lieu particulier, disons une maison familiale de la classe moyenne américaine, nous dit Shane Black. Un enfant se lève la nuit pour voler un magazine érotique caché sous le lit de son père. Il traverse le couloir avec le trésor, déplie le poster de la "playmate" du mois, puis va se positionner dos à l’évier de la cuisine, les yeux toujours rivés sur le magazine. Dans le champ de l’objectif, derrière lui, une voiture surgissant de l’obscurité est visible au travers de la fenêtre, et dévale la pente menant à la maison. Le garçon n’entend presque rien depuis l’intérieur. Panoramique à droite de l’enfant : la voiture traverse le logement en brisant les cloisons avec fracas, et termine sa course dans le jardin de derrière. L’enfant arpente la voiture accidentée et tombe nez à nez avec sa conductrice agonisante, une femme plantureuse nue et ensanglantée. La photo du magazine entrevue quelques secondes auparavant se retrouve soudainement transposée dans la réalité, tangible et sans vie, comme l’était la demoiselle représentée sur papier glacé. Cette brusque collision entre l’éros et le thanatos n’est probablement pas le propos de Shane Black, mais l’idée reste saisissante. D’autant plus que les enfants dans The Nice Guys sont les seuls à avoir un regard moral sur la mort - les "nice guys" n’étant bien évidemment pas des enfants de cœur.
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Sans rentrer dans les détail des autres séquences, il y a à chaque fois chez Shane Black des éléments a première vue sans intérêt dans la mise en scène, mais qui jouent un rôle crucial par la suite. Un peu comme chez Lubitsch, la finesse en moins évidemment, le cinéaste sème des objets pour mieux les utiliser à dessein plus tard. Il faut voir la séquence se déroulant dans le penthouse d’un géant du cinéma pornographique pour comprendre à quel point Shane Black a du génie pour trouver une utilité à tout. Difficile d’ailleurs à ce moment du film de ne pas y voir un emprunt à The Party avec Peter Sellers. L’impertinence des dialogues, les gags en gradation, les rencontres inopinées, le décor en tant que terrain de jeu inépuisable façon Blake Edwards... toutes ces innombrables trouvailles a priori inutiles, montées en parallèle, pourraient diluer le propos mais il n’en est rien : chaque rouage s’imbrique dans l’autre et tourne comme une horloge. Répliques délirantes et cascades incontrôlées fusent à une vitesse sidérantes sans que jamais le métronome ne s’emballe et fasse perdre de vue les principaux enjeux - du moins à l’échelle de la séquence. Le schéma reste le même d’un segment à l’autre. Mais s’il faut bien reconnaître l’intelligence de Shane Black, cette logique de partitionner en séquences-terrain de jeu dont il faudrait exploiter chaque fois toutes les composantes, finit par alourdir le film dans son ensemble. Le sacrifice est inévitable, et le scénario dans sa totalité - dont on finit par se moquer - ne pèse en définitive pas très lourd dans l’équation. Dommage, mais Shane Black semble n’avoir de toute façon qu’une seule idée en tête : prouver au monde que son imagination n’a pas de borne - une sorte de catalogue pour ses prochaines commandes de scénario, disons.
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À noter qu’il serait long ici de lister toutes les références glissées dans The Nice Guys, mais la plus intéressante est probablement cet emprunt, qu’il soit volontaire ou non, à Inspecteur Gadget : jamais Holland March (Ryan Gosling) ne résoudra une affaire sans l’aide de type deus ex machina de sa fille Holly, possible transposition du personnage de Sophie du dessin animé original. Si Shane Black ne signe pas un chef-d’œuvre, son film démontre en tout cas un talent inouï pour architecturer ses séquences, et dépeindre une belle atmosphère.
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