Scènes de chasse en bavure
Le 6 août 2013
Dense et mental, The hunter propose un chemin de traverse vers les colères sociales et politiques des Iraniens d’aujourd’hui, incarnées dans un personnage original et puissant. Promesses tenues pour Rafi Pitts, auteur et acteur à retenir.
- Réalisateur : Rafi Pitts
- Acteurs : Rafi Pitts, Mitra Hajjar, Ali Nicksaulat
- Genre : Drame, Thriller
- Nationalité : Allemand, Iranien
- Durée : 1h32mn
- Titre original : Shekarchi
- Date de sortie : 16 février 2011
- Plus d'informations : Le site du distributeur
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Dense et mental, The hunter propose un chemin de traverse vers les colères sociales et politiques des Iraniens d’aujourd’hui, incarnées dans un personnage original et puissant. Promesses tenues pour Rafi Pitts, auteur et acteur à retenir.
L’argument : Téhéran 2009, Ali récemment libéré de prison est veilleur de nuit dans une usine. Il vit à contretemps de sa femme et sa fille. Lorsqu’elles disparaissent dans les émeutes qui secouent la ville, Ali devient le chasseur, poursuivant froidement de sa haine un ennemi insaisissable, caché au cœur des villes aussi bien qu’en lui même.
Notre avis : Une école d’épure. C’est ce qu’on retire du nouveau film de Rafi Pitts, The hunter, où les images, les sons et les sentiments ont été distillés jusqu’à nourrir, avec une économie extrême, un récit simple et dense. Etonnant, à ce stade de réduction, que l’équation fonctionne encore ; et pourtant, on suit sans problème le cinéaste-acteur sur cette ligne minimale, si maîtrisée qu’elle devient tour à tour distante et fascinante. En creux, The hunter nous parle évidemment de la société iranienne, prise dans un remous schizophrène entre maintien de l’ordre et volonté de contestation ; le personnage principal, au passé carcéral à peine évoqué, appartient à ces fauteurs de troubles dont l’Etat soupçonne la nocivité, davantage qu’il ne peut la prouver. La deuxième partie du film, qui met en scène une partie de campagne absurde qu’animent quasi-silencieusement le héros et deux policiers, offre un condensé mémorable du théâtre de marionnettes qui se joue à Téhéran au sein des diverses institutions étatiques, au premier rang desquelles la police. Le personnage du chasseur abat, symboliquement et littéralement, la figure du policier ; et de la même manière qu’un message anodin posté sur Twitter a ouvert en 2009 la voie à la contestation d’une élection, un acte isolé offre ici l’espoir d’une révolte. Mais le plus appréciable tient encore à ce que cette mascarade ne vaut pas seulement comme métaphore politique ou sociale : elle fait également un étrange dispositif de peur primale, peut-être la véritable « chasse » qu’évoque le titre, et dans laquelle nous sommes entraînés malgré nous.
- © Sophie Dulac Distribution
Tout le long du film, Rafi Pitts insuffle à son récit une pesanteur de plus en plus marquée : les images, belles et étouffantes, enferment le personnage dans un sas entre la norme et la marge - et au passage, le film écharpe discrètement les « anomalies » sociales diverses du quotidien : le travail de nuit, la surreprésentation policière, l’isolement... En se mettant lui-même en scène dans le rôle du chasseur, le cinéaste a fait le pari d’avancer comme un funambule dans l’intrigue, comme si chaque plan était un tâtonnement vers le suivant. Tout, de sa démarche physique au ton de sa voix, joue sur l’hésitation et le décalage : au pathétique et à l’expression, l’acteur Pitts oppose clairement le choix de l’intensité intérieure, dans un style de jeu qui ne peut que placer le spectateur dans une position inconfortable. A sa manière, et avec ce deuil inexprimable, qui se transforme en folie obsessive, Ali n’est pas très éloigné des personnages du « Nouvel Hollywood » des années 1970, aliénés à eux-mêmes et seuls face à leurs démons. Les tensions politiques, la répression policière et la frustration sociale ont, d’Hanoï à Téhéran, remplacé une blessure par une autre ; mais ce qui intéresse ce cinéma demeure bien présent, comme trauma originel que toutes les images du monde ne pourront jamais refermer.
La bande-annonce : ICI
- © Sophie Dulac Distribution
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