In the mood for war
Le 21 janvier 2024
Maintes fois annoncé, The Grandmaster comme tous les films de Wong Kar-wai, a le charme de son mystère. Et pourtant, cette fois-ci, l’attente n’en vaut pas la chandelle. Une merveille... de l’art décoratif.
- Réalisateur : Wong Kar-wai
- Acteurs : Zhang Ziyi, Tony Leung Chiu-wai, Chen Chang, Cung Le, Lo Hoi-pang, Jin Zhang
- Genre : Biopic, Action, Arts martiaux - Combats
- Nationalité : Français, Chinois
- Distributeur : Wild Bunch Distribution
- Durée : 2h02mn
- Date de sortie : 17 avril 2013
Résumé : Chine, 1936. Ip Man (Tony Leung), maître légendaire de Wing Chun (un des divers styles de kung-fu) et futur mentor de Bruce Lee, mène une vie prospère à Foshan où il partage son temps entre sa famille et les arts martiaux. Bientôt, le grand Maître Baosen, à la tête de l’Ordre des Arts Martiaux chinois, cherche son successeur. Pour sa cérémonie d’adieux, il se rend à Foshan, avec sa fille Gong Er (Zhang Zihi), elle-même maître du Ba Gua et seule connaisseuse de la figure mortelle des 64 mains. Lors de cette cérémonie, Ip Man affronte les Grands Maîtres du sud et fait alors la connaissance de Gong Er en qui il trouve son égal. Très vite, l’admiration laisse place au désir et dévoile une impossible histoire d’amour. Peu de temps après, le Grand Maître Baosen est assassiné par l’un de ses disciples ; puis, en 1937 et 1945, l’occupation japonaise plonge la pays dans le chaos. Divisions et complots naissent alors au sein des différentes écoles d’arts martiaux, poussant Ip Man et Gong Er à prendre des décisions qui changeront leurs vies à jamais...
Critique : Presque sept ans après My Blueberry Nights, le plus célèbre des cinéastes hongkongais revient sur nos écrans et s’essaye au film d’action. Le kung-fu : deux mots. Horizontal et vertical. À l’image du cadre de Wong Kar-wai, dont la mise en scène apparaît plus géométrisée que jamais. Esthétiquement, l’essai est un coup de maître. Minutie des textures, précision des contrastes, brillance des lumières, profondeurs des obscurités, partition et répartition des corps dans le plan : le film entier semble être voué à un travail de chirurgie plastique. À tel point que deux séquences s’illustrent d’ores et déjà mythiques : celle du combat d’ouverture long de dix minutes où sang et pluie se mêlent brillamment, et celle du combat en bordure de quai où le train et les guerriers se frôlent sans jamais se toucher.
Côté décors, la luxuriance est à couper le souffle. The Grandmaster, c’est l’histoire d’une Chine au bord de la scission. Au ord, le berceau de l’art Kung-fu est pris d’assaut par les Japonais. Au sud, les grands maîtres, exilés, tentent de faire perdurer leur savoir. De fait, le film est visuellement pris au piège de ces deux espaces, oscillant sans cesse entre les vallées enneigées et la moiteur des plaines, les contrées isolées et les villes côtières, le monde sauvage et le monde policé. Dans le cadre, un train serpente à mi-chemin de la tradition et de la modernité. Et c’est bien de cette errance dont il est éternellement question dans l’œuvre de Wong Kar-wai. The Grandmaster, malgré la rupture de genre qu’il impose dans la filmographie du cinéaste, n’échappe pas à la règle. Historiquement, la période choisie, celle de de la République chinoise (considérée comme l’âge d’or du kung-fu), en est la parfaite métaphore. Que ce soit Ip Man (Tony Leung), le discret combattant du sud ou Gong Er (Zhang Zihi), la flamboyante guerrière du nord, nos héros endurent la mutation d’un monde sur le point de se mondialiser. Face à ce tableau qui s’efface, les aspirants grand maîtres tentent d’en mémoriser le trait. Le kung-fu se raréfie et, très vite, les figures disparaissent et se mythifient. Dans ce climat d’extinction, naît une course, celle pour le titre de Grand Maître. Au cœur de l’arène, trois prétendants : Gong Er, Ma San et le futur maître de Bruce Lee, Ip Man. Trois personnages, trois intrigues. Sur le papier, l’histoire est simple. Peut-être un peu trop. Et même si dans les deux derniers tiers du film, le kung-fu ne semble plus être qu’un prétexte à imager la chute d’une légende sur le point de s’éteindre, la lisibilité du récit reste trompeuse. Virtuose de l’entremêlement narratif, Wong Kar-wai perd en complexité et tombe dans le vice de son art : l’auto-citation et la stylisation à outrance. Bien sûr, les adeptes retrouveront les incontournables traces de son empreinte : ralentis sophistiqués, incrustations et reflets, recadrages et éclairages tranchants, et acteurs rituels.
Si Tony et Zhang restent très bons, c’est Chang Chen qui se révèle ici magistral, alliant dans le rôle secondaire de ’’la lame’’, charisme fou et mystère impénétrable. Et si l’on peut déplorer une certaine superficialité scénaristique (le personnage du Grand Maître Baosen, instigateur de la course au pouvoir, mériterait une caractérisation bien plus creusée), il faut garder à l’esprit que The Grandmaster est définitivement un film de genre, celui de l’art martial, qui à la fois s’inscrit dans une tradition cinématographique chinoise et à la fois s’en sépare, le style sur-défini du cinéaste ne pouvant que l’en singulariser. Étonnamment, le film se rattrape par là où il pèche : le visuel. Six ans de préparation et trois ans de tournage auront été nécessaires à la naissance d’une œuvre pharaonique et littéralement surcomposée.
À l’image, la chorégraphie des corps égrène les coups des guerriers telle une pluie de notes sur une partition musicale. En écho, un air d’opéra donne le ’’la’’ du combat. Aux commandes, Yuen Wo Ping (Matrix, Kill Bill,...), impose un entraînement drastique long de plusieurs années pour tous les acteurs. Une performance spectaculaire, surtout lorsque l’on sait que l’intégralité des combats se sont faits en prise de vue directe et que seul 10 % du film a bénéficié d’effets spéciaux ! Dans The Grandmaster, pas de mépris de la gravité, le réalisme est au rendez-vous. Et bien souvent, l’affrontement n’est que la traduction d’un sentiment plus profond : honneur, peur, vengeance, et bien sûr amour. Plus diffuse mais toujours aussi subtile, la rencontre amoureuse noyaute en sous-main le récit. Déclarés rivaux, Ip Man et Gong Er trouvent pourtant, dans le regard de l’autre, le temps d’un sublime tango-combat, l’étincelle de l’âme sœur. L’idylle, bien sûr impossible, commence et s’arrête là. Rien ne se consomme et tout se perd chez Wong Kar-wai... Et dans une scène reflet de 2046, Tony et Zhang rejouent pour la seconde fois, attablés dans un restaurant, le soir du nouvel an, la fatalité d’un destin qui les a à jamais séparé. À la lueur d’une lumière crépusculaire et artificielle, le non-couple erre dans les rues d’une Hong Kong transfigurée par les années 50 et l’occidentalisation croissante, comme leurs prédécesseurs dans In the Mood for Love. En silence et en quête d’identité. Dans The Grandmaster, la vapeur du pouvoir s’inverse constamment. Et si le titre nous annonce l’hégémonie d’un grand maître, le cinéaste a l’intelligence d’approfondir la notion de dominant/dominé et de focaliser son film sur l’impermanence de la victoire.
À tel point que ce n’est plus la légende d’Ip Man qui nous est contée, mais bel et bien son déclin. Au final, une œuvre hybride, mélancolique et déroutante, qu’il convient de regarder avec un œil neuf si l’on ne veut pas être décontenancé. La plastique peut-elle suffire à forger la légende de Wong Kar-Wai ? Pas si sûr....
Entretien avec Wong Kar-Wai ICI
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vanhzexen 4 mars 2014
The Grandmaster - Wong Kar-wai - critique
Maniéré dans son style. Confus dans sa narration. Ennuyeux dans son récit.
Heureusement que la bouleversante Zhang Ziyi apporte un peu d’épaisseur par sa présence.
Le réalisateur de "In The Mood For Love" est certainement plus à l’aise dans un autre genre.
Cette biographie historique teinté de nostalgie culturelle à certainement des adeptes qui se régaleront là où je me suis ennuyé.
Moi je passe mon chemin de façon aussi sereine que ce "Grandmaster" dont on fait ici l’éloge.