Le 31 décembre 2014
Sur un canevas hélas plausible, Ignas Jonynas administre au spectateur une claque mémorable avec ce film noir, oppressant et original.
- Réalisateur : Ignas Jonysas
- Acteurs : Vytautas Kaniusonis, Oona Mekas
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters
- Nationalité : Letton, Lituanien
- Durée : 1h49mn
- Titre original : Losejas
- Date de sortie : 31 décembre 2014
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Sur un canevas hélas plausible, Ignas Jonynas administre au spectateur une claque mémorable avec ce film noir, oppressant et original.
L’argument : Vincentas est le meilleur employé du service des urgences, c’est également un joueur passionné par les jeux d’argent. Chaque fois qu’il est confronté à une situation difficile, le médecin est obligé de prendre des décisions radicales pour rembourser ses dettes. Une idée vient alors à Vincentas de créer un jeu illégal lié à sa profession. Au départ, seul les employés des urgences sont attirés par ces paris macabres, mais rapidement, l’idée commence à se répandre comme une traînée de poudre. Sa situation financière ne cesse de s’améliorer, mais Vincentas va devoir faire un choix fatidique. L’amour, la vie et la mort seront en jeu.
Notre avis : Une image résume The Gambler : la caméra est dans une ambulance ; au premier plan, un visage de cadavre et, par la porte ouverte, on voit des urgentistes jouer sur l’herbe. Le jeu et la mort, les deux grands thèmes, sont sans cesse rapprochés. L’un et l’autre sont partout : sur les écrans, dans des salles réservées, on joue, on parie. Et, puisque nous sommes aux urgences, la plupart des événements, qu’ils soient graves (explosion, accident de la route), ou grotesques (vérifier ses dents devant un rétroviseur) mènent au trépas. Dès lors, comme le hurle le personnage principal, Vincentas, dans une séquence d’anthologie, où est le sens ? Tout est absurde. C’est là que le jeu devient une expérience métaphysique, un défi à l’existence : parier sur la mort s’apparente à un blasphème dont personne ne peut sortir indemne. Dans ses enjeux comme dans le milieu choisi, le film peut faire écho à celui de Martin Scorsese, A tombeau ouvert, sans rougir de la comparaison.
The Gambler est un film noir, très noir, presque désespérant. L’humanité y est indifférente, tournée vers son petit profit immédiat. À cet égard, certaines scènes sont éprouvantes ; la plus rude est peut-être celle où un médecin, face à la maladie d’un enfant, ne dit qu’un chiffre : la somme qu’il faut payer pour le soigner. Nous en sommes là, semble dire le réalisateur ; cette société dans laquelle les rapports humains sont tarifés (voir Ieva se déshabillant devant le médecin), dans laquelle la vie est une survie au jour le jour, face aux autres eux-mêmes préoccupés de survivre, cette société cynique dans laquelle un médecin indifférent est élu le meilleur et récompensé par des objets dérisoires, cette société dans laquelle l’existence se résume à des gestes (que de plans de mains !), cette société, c’est la nôtre. On peut ne pas vouloir le voir, trouver excessif ce portrait glacé, avec ses travellings glissant, ses personnages sans cesse décadrés, jamais à leur place. Néanmoins on sort de la projection ébranlé, secoué.
Ignas Jonynas, dont c’est le premier long-métrage, fait preuve d’une maîtrise étonnante : cadrages étouffants, plans-séquence parfaits de fluidité, travellings précis, jeu sur le hors-champ, on n’en finirait pas de décrire certaines scènes. Alors, certes, le revers de la médaille, c’est parfois une virtuosité gratuite (le travelling tournoyant autour du couple), ou des ralentis inutiles. Mais quelle leçon ! On ressent rarement au cinéma une telle présence physique des corps, présence renforcée par le jeu des acteurs, mais aussi par le refus du psychologisme et la rareté des dialogues. Ces personnages qui bougent sans cesse, qui butent sur la réalité sordide, sont des barbares en un sens déjà morts. On ne sait presque rien d’eux, parce qu’ils n’ont pas de passé, pas d’histoire. Ils ne sont que leurs actes, violents, âpres et somme toute dérisoires. Même leurs fêtes sont tristes.
Dans ce paysage de déshérence absolue, Ieva est une victime inadaptée. En réponse à une question de la banquière, elle avoue son pêché suprême : elle ne sait pas compter. Ne pas savoir compter, c’est être trompé, humilié, bafoué. En un sens, elle suit le parcours inverse de Vincentas : elle s’endurcit quand lui tente une rédemption par l’amour. Mais la fatalité, comme dans tout bon film noir, est inscrite dès le début de leur aventure. Le mensonge initial condamne les personnages.
Dans ce spectacle oppressant, quelques trouées lumineuses (une scène à la plage, par exemple), quelques brefs plans (l’étreinte, les mains qui caressent) sont évidemment insuffisantes pour effacer l’impression générale : celle d’une épreuve quasi physique, qui vous noue la gorge et vous rend hagard. Le dernier plan, ce travelling ascendant qui noie Ieva au sens propre, a la sombre beauté du désespoir.
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