Le 2 septembre 2015
Le premier film de Jane Campion, formellement audacieux, reste plus de vingt-cinq ans après sa sortie une œuvre forte et troublante.
- Réalisateur : Jane Campion
- Acteurs : Genevieve Lemon, Karen Colston, Tom Lycos
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Australien
- Distributeur : Carlotta Films, Splendor Films
- Durée : 1h37mn
- Reprise: 2 septembre 2015
- Date de sortie : 3 janvier 1990
- Festival : Festival de Cannes 1989
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Résumé : Kay a peur de tout : du présent, de l’avenir, de la vie, de la mort. Tout semble s’arranger lorsqu’elle se met en ménage avec Louis, l’ancien fiancé d’une collègue. Mais ce bonheur apparent ne dure qu’un temps et ses angoisses la reprennent. C’est alors qu’apparaît Sweetie, sa jeune sœur, obèse, débraillée et sympathique, qui laisse dans son sillage un énorme nuage d’entropie...
Critique : Pour son premier long-métrage, très remarqué à l’époque, Jane Campion s’intéresse (déjà) à des personnages féminins troubles, en proie aux phobies comme aux désirs et frustrations. Les deux sœurs, Kay et Sweetie, sont les deux faces opposées d’un même rapport difficile à la famille, fruits de parents déphasés autant que dépassés : la première, maigre et rongée par les superstitions, a peur des arbres et adopte des comportements étranges qu’elle ne peut expliquer, comme dormir dans la chambre d’amis ou marcher en évitant de piétiner les lignes au sol. La seconde, ronde et infantile, s’accroche à des rêves de gloire dont on comprend qu’ils viennent de son père, mais se manifestent surtout par caprices et obscénités. Elles représentent les deux faces humaines, l’esprit-Kay et le corps-Sweetie ou, si l’on veut, un surmoi et un ça excessifs. Sombre tableau, que ne rachètent pas les hommes qui passent, Louis qui médite régulièrement, et Bob « producteur » camé. Ce qui unit tous ces personnages, c’est leur totale inadaptation au monde, un monde lui-même étrange, peuplé de fissures, d’arbres menaçants et de robinets qui gouttent ; c’est au fond comme si l’animé et l’inanimé se retrouvaient dans un dérèglement inexplicable, ce que Jane Campion matérialise par des cadrages étranges, décentrés, découpés. Elle s’ingénie, dans des décors sordides et une lumière froide et bleue, à faire de son cadre un instrument à martyriser les corps ; les personnages sont régulièrement emprisonnés, tronqués, décapités par les bords de l’écran en une cérémonie macabre qui participe du malaise profond que l’on ressent.
- © Splendor Films
Dans cette vision, les humains ne peuvent communiquer : même s’ils se parlent, ce sont plutôt des monologues coagulés que des dialogues. De là ces nombreux plans dans lesquels les personnages sont séparés ou ne se regardent pas. La scénographie est ici capitale en ce qu’elle en dit beaucoup plus que les mots ; certes on pourra trouver certains passages excessivement formalistes, mais l’accumulation de détails et de cadrages bizarres crée un univers aussi bien mental que physique à la mesure du désarroi des personnages. On reste confondu devant la maîtrise de la réalisatrice qui, avec son premier film, annonce toute sa filmographie (comment ne pas penser à ses autres héroïnes constamment à part, celles d’Un ange à ma table ou La Leçon de piano par exemple ?) et met en place un univers singulier qui n’est pas sans évoquer le David Lynch de Blue Velvet, antérieur de quelques années, en ce qu’il matérialise une « inquiétante étrangeté ». Pour appuyer encore, la réalisatrice parsème son film d’images qui se répondent en échos déroutants ; ainsi le bitume éclaté par des racines en accéléré devient-il du sable qui craquelle sur le corps de Bob ou une fissure au plafond, mais se retrouve aussi à l’enterrement de Sweetie. Ce sont là d’évidentes métaphores mais surtout des trouvailles visuelles fortes qui ne cessent de surprendre, dans une œuvre en grande partie imprévisible.
- © Splendor Films
Aidée par deux actrices hallucinantes, Jane Campion façonne un univers d’enfermement (ah, cette cour bouchée de palissades !) et de basculement où la folie, soit présente soit très proche, se niche dans les détails aussi bien que dans l’ensemble et contamine notre vision : tout fait signe, tout dérange. En s’attachant aussi bien au dérisoire qu’à l’essentiel, l’un menant parfois à l’autre (voir le caprice final qui entraîne la mort de Sweetie), en suivant deux femmes névrosées incapables de vivre dans un monde insensé, la cinéaste crée une œuvre originale, noire et profondément dérangeante.
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