Religion et doutes existentiels
Le 4 mai 2021
Auréolé par la Palme d’or en 1987, Sous le soleil de Satan est un film puissant et passionné qui ne peut laisser indifférent. Sa mise en scène est sublime.
- Réalisateur : Maurice Pialat
- Acteurs : Gérard Depardieu, Sandrine Bonnaire, Jean-Christophe Bouvet
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Distributeur : Gaumont Distribution
- Editeur vidéo : Gaumont DVD
- Durée : 1h43mn
- Titre original : Sous le soleil de Satan
- Date de sortie : 2 septembre 1987
- Festival : Festival de Cannes 1987
L'a vu
Veut le voir
Résumé : La jeune Mouchette, seize ans, tue son amant. Tout le monde pense que le défunt s’est suicidé. Mais l’adolescente ressent le besoin de confier son crime à l’abbé Donissan, le vicaire du village. Une relation étrange, malsaine et fallacieuse se noue entre eux.
Critique : Sous le soleil de Satan est certainement le film le plus controversé de Maurice Pialat. Lorsque celui-ci remporte, à l’unanimité, la Palme d’or en 1987, c’est sous les sifflets que le cinéaste est accueilli lors de la remise des prix. Dans sa traditionnelle posture provocatrice, Pialat déclare alors à ses détracteurs : « je suis content ce soir pour tous les cris et les sifflets que vous m’adressez. Et si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus ». Si l’homme reste donc fidèle à sa réputation, le cinéaste, lui, arbore avec Sous le soleil de Satan une nouvelle facette de son cinéma tant il jouit d’un classicisme rarement évoqué. Il est ainsi clair que ce dernier fut avant tout destiné pour Cannes, dans l’optique de la Palme d’or.
En adaptant de manière très libre le roman éponyme de Georges Bernanos, Maurice Pialat s’émancipe aisément de la mécanique romanesque, et naturelle, de l’œuvre d’origine. Beaucoup de détails, notamment sur les histoires personnelles des protagonistes, sont en effet retirés dans le but de placer la spiritualité, voire la métaphysique, au centre du récit. Plus précisément, Pialat fait de l’influence du sacré sur les hommes le cœur de son film, avec évidemment comme centre de gravité le personnage de Donissan, jeune abbé en proie au doute. Sujet oblige, la nervosité habituelle de sa mise en scène est éclipsée par un cadre nettement plus stable, où les figures se retrouvent fréquemment isolées au centre de l’image, comme si la vie en paroisse se résumait en un éternel huis clos. De même, les dialogues se montrent particulièrement monotones et totalement étrangers aux conflits – une phrase commence quand une autre s’arrête –, ce qui accentue la platitude d’un rythme que beaucoup trouveront ennuyeux. Cette inédite pudeur scénique est néanmoins chahutée par l’irruption de Mouchette, adolescente de seize ans tout aussi dérangée que Donissan – elle se retrouve malgré elle dans une position de criminelle. La rencontre de ces deux extrêmes viendra encore un peu plus perturber l’équilibre de ces personnages mutilés par la complexité de l’existence. Fatalement, ce sera cette confrontation qui précipitera les drames auxquels le spectateur ne peut que s’attendre.
Comme pour justifier son athéisme qu’il revendique, Pialat use d’une représentation autant réaliste que fantastique du sacré pour dresser le portrait de Donissan. Les dialogues sont nombreux, calmes, et viennent informer de manière précise sur les tourments des personnages en dévoilant l’importante part d’humanité dont ils disposent. Le sacré est ainsi représenté par les propres troubles psychologiques de ceux qui le pensent et l’expriment – « la sagesse est le vice des vieillards » affirme non sans ironie l’abbé Menou-Segrais, comme si la réflexion n’était qu’une porte vers le doute, et donc vers le Mal. La mise en scène, elle, fait la part belle au mystique et à l’exposition de la fragilité humaine - matérialisée par l’éternelle lutte entre le Bien et le Mal. Jouant sur les oppositions visuelles, Pialat mêle et démêle le réalisme avec le chimérique pour créer une ambiance des plus particulières. Les magnifiques séquences de Donissan déambulant dans les plaines constituent un écho puissant à celles situées en intérieur qui, elles, baignent dans des clairs-obscurs remarquables. De même, l’utilisation de musiques récurrentes, pleine de mystères, accentue cette sensation étrange qui se dégage de nombreuses scènes, clairement fantastiques – le moment du miracle, les différentes morts, la rencontre avec le diable. Une telle maitrise de la mise en scène - lumières, décors, cadrage - émerveillera plus d’un spectateur tant cette dernière frôle la perfection.
Certains reprocheront au film, très référencé, sa construction trop lisse, son rythme cadenassé par un sujet inévitablement lourd et complexe. Difficile cependant de renier une telle virtuosité dans la manière d’exposer les sentiments, ceux les plus cachés, les plus enfouis au plus profond des êtres et qui, par le détour d’un regard, ou par une parole souvent vaine, viennent éclater au grand jour. La beauté de Sous le soleil de Satan réside autant dans ses nombreuses ellipses narratives qui donnent, soudainement, une vitesse inouïe au récit que dans sa manière de raconter les hommes, leur amour et leur folie. Le spectacle est exigeant, mais la puissance dramatique d’une telle histoire, basée sur la transcendance de l’esprit, marquera à ne pas en douter plus d’un spectateur.
LE TEST BLU-RAY
Dotée d’une image sublime et de suppléments considérables, l’édition Blu-ray est une réussite totale.
Les suppléments
Le travail de Gaumont est remarquable : extrêmement complets et diversifiés, les suppléments raviront les plus curieux d’entre nous. Quatre entretiens, deux courts-métrages de Pialat datant du début des années 50 (Congrès eucharistique diocésain et Isabelle aux Dombes), des scènes coupées (d’une durée de 55 minutes), un court making-of d’une quinzaine de minutes, la conférence de presse du festival de Cannes 1987 ainsi que la présentation de son palmarès : autant dire que les bonus sont très conséquents. Parmi les entretiens proposés, celui avec Willy Kurant, le directeur de la photographie, est riche en anecdotes étonnantes, notamment sur Maurice Pialat. Ainsi, on apprend que le cinéaste aurait voulu tourner à Hollywood car cela lui « aurait fait du bien d’être obligé à faire des choses ». L’homme revient aussi sur la manière avec laquelle Pialat pouvait être très cruel – il aurait viré un opérateur le jour de Noël en lui déclarant « joyeux Noël ». Néanmoins, Kurant se montre très reconnaissant envers le réalisateur, qu’il décrit comme un autodidacte qui avait besoin de démolir pour créer. Il garde ainsi un très bon souvenir du tournage et, non sans fierté, avoue être satisfait du résultat final qui, selon lui, ne trahit jamais l’œuvre d’origine.
L’image
L’image est d’une beauté à couper le souffle. Les couleurs et le contraste sont sublimes et viennent grandement participer à l’ambiance si particulière du film. Aucun effet de rémanence n’est à déplorer tandis que le faible grain offre à l’image, constituée autant de vastes paysages colorés que de sombres lieux clos, une réelle profondeur. Un sans-faute.
Le son
Tout comme l’image, la bande sonore est d’une grande qualité. Les musiques, les voix et les bruitages profitent en effet d’une excellente harmonie. L’ensemble est donc très clair et parfaitement équilibré.
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.