La liste de Socha
Le 9 octobre 2012
Inspiré d’une histoire vraie, celle de Krystyna Chiger, Sous la vile remémore avec réalisme et humanité l’incroyable épopée souterraine d’une poignée de juifs polonais en pleine seconde guerre mondiale. Brutal, angoissant, et poignant.


- Réalisateur : Agnieszka Holland
- Acteurs : Benno Fürmann, Robert Wieckiewicz, Agnieszka Grochowska
- Genre : Drame, Historique
- Nationalité : Canadien, Allemand, Polonais
- Durée : 2h25mn
- Titre original : In darkness
- Date de sortie : 10 octobre 2012
- Plus d'informations : http://www.sonyclassics.com/indarkness/

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Inspiré d’une histoire vraie, celle de Krystyna Chiger, Sous la vile remémore avec réalisme et humanité l’incroyable épopée souterraine d’une poignée de juifs polonais en pleine seconde guerre mondiale. Brutal, angoissant, et poignant.
L’argument : Lvov, Pologne 1944 : les nazis ordonnent l’épuration du ghetto. Des habitants creusent un tunnel sous leur maison pour rejoindre les égouts de la ville espérant y trouver refuge. Hélas, ils tombent sur Leopold Socha, un employé municipal devenu contrebandier. Flairant la bonne affaire, ce dernier accepte de cacher onze de ces fugitifs moyennant une dîme quotidienne. Mais petit à petit, Leopold va mettre sa vie et celle des siens en danger, afin de protéger "ses Juifs". Et ce, même quand l’argent vient à manquer.
Notre avis : Disciple de Wajda et Kieslwoski, Agnieska Holland, réalisatrice polonaise adepte du genre historique (Rimbaud Verlaine, Washington Square), prolonge avec ce nouveau long-métrage, la thématique du très remarqué Europa, Europa (1990), à savoir la Shoah. Un pari risqué au vue de la masse cinématographique d’ores et déjà réalisée sur le sujet. Avec Sous la vile, la cinéaste innove et choisit d’illustrer le propos d’un nouvel angle, celui des égouts. Réfugiée dans les sous-terrains de Varsovie, la petite communauté juive polonaise s’organise et paradoxalement, se construit dans cet enfer, un quotidien familier. Ici comme ailleurs et ce malgré le danger, les hommes prient, les femmes cuisinent, les couples font l’amour, et les enfants dessinent en couleurs.
Avec détail et minutie la cinéaste reconstitue à la perfection décor et ambiance d’époque. Odeurs fétides, eaux fuligineuses, rats grouillants, humidité suintante, vêtements défraîchis, crasses accumulées, rien ne manque au tableau mortifère de cette survie en eaux troubles. A cette plastique irréprochable s’ajoute un travail esthétique digne des plus grands classiques. Lumière contrastée, profondeur de champ et sur-composition du cadre, l’image est dans Sous la vile, lourde de sens. En témoigne cette terrible séquence d’ouverture : un groupe de femmes nues dans une forêt enneigée, poursuivies et abattues par des soldats nazis. Cru et organique, la violence noyaute l’intégralité du récit. Ici l’affrontement est constant, le conflit extérieur gangrenant peu à peu la cohésion du groupe. Cloîtrés dans cet abominable huis-clos, les vices et travers de chacun se révèlent. Une approche subtile et dénuée de ’’victimisation’’, refusant la classification de ses protagonistes en deux camps opposés : celui des bons et celui des méchants. Dans Sous la vile, l’âme humaine se complexifie à l’échelle de la guerre et les réactions s’intensifient, en bien comme en mal. Dans la communauté juive, la peur pousse les uns et les autres à la suspicion, la défiance et la parangon. A la surface, les polonais trahissent leurs frères, dénoncent leurs voisins et pactisent avec l’ennemi pour sauver leurs peaux. Et c’est finalement d’un petit escroc, doté d’une conscience tardive et attendri par le sort d’une famille semblable à la sienne, que l’héroïsme surgit sans prévenir. Cet homme c’est Socha Leopold, fonctionnaire chargé d’arpenter les égouts de Varsovie. Une petite vie ordinaire qui bascule dans l’extraordinaire quand au détour d’une canalisation, il croise le chemin de familles juives venues chercher refuge sous terre après la rafle du ghetto. Une rencontre opportune pour l’homme qui profite de l’occasion pour monnayer son silence dans l’espoir de s’enrichir. Très vite pourtant, Socha prend tous les risques, refusant l’argent et risquant parfois la vie de sa femme et de sa fille, pour sauver ceux qu’il nomme ’’ses juifs’’.
Si l’originalité du sujet, la reconstitution historique, et la réussite esthétique éblouissent, les faiblesses d’un scénario manquant de rythme font cruellement ressentir les répétitions d’un film approchant les 150 minutes. Une dynamique stagnante que les péripéties de dernières minutes (inondation, meurtre et enterrement) ne parviennent pas à rattraper. Piégé entre quatre murs, les réfugiés tournent en rond, littéralement et dramatiquement. Alors que l’on commence à s’attacher aux enjeux de chacun (retrouver sa soeur, séduire une femme, protéger ses enfants), la réalisatrice abandonne le groupe et focalise son récit sur Socha, délaissant presque complètement le traitement des autres personnages. Un parti-pris peu audacieux qui frustre un spectateur avide d’intrigues parallèles et de résolutions. Une exception cependant, la grossesse d’une jeune mère et le meurtre de son nourrisson né sous terre, venant rétablir en fin de récit, l’équilibre des destinées. Réunissant pas moins de six langues et jouissant d’un casting international, Sous la ville éclaire avec violence et sensibilité, l’un des plus obscurs pans de notre histoire. Éprouvant et passionné malgré les longueurs.