Lost in depression
Le 15 août 2014
Sofia Coppola n’a plus rien à dire. Mais elle le dit bien.
- Réalisateur : Sofia Coppola
- Acteurs : Aurélien Wiik, Michelle Monaghan, Elle Fanning, Alden Ehrenreich, Stephen Dorff, Chris Pontius, Lisa Lu , Ellie Kemper, John Prudhont, Karissa Shannon, Laura Chiatti
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Pathé Distribution
- Durée : 1h38mn
- Date de sortie : 5 janvier 2011
- Festival : Festival de Venise 2010
Résumé : Johnny Marco, auteur à la réputation sulfureuse vit à l’hôtel du Château Marmont à Los Angeles. Il va recevoir une visite inattendue : sa fille de onze ans.
Critique Depuis son premier long-métrage, il y a toujours eu dans le cinéma de Sofia Coppola cette passion pour les gens paumés, une volonté de suivre les errances de personnages dans un monde qui leur est étranger ou les bride dans leurs intentions. Ainsi nous contait-elle dans Virgin Suicides la détresse de jeunes filles cloisonnées chez elles par des parents égoïstes qui ne les comprenaient pas, ne leur laissant d’autre choix que de survivre en dehors de tout sans même avoir le droit de rêver. Dans sa lignée, Lost in Translation observait deux personnages, différents mais rattachés par le même mal-être qu’une vie sans but et sans saveur leur procurait. Sorte d’aboutissement thématique, Marie-Antoinette revisitait l’Histoire de France du point de vue d’une adolescente, noyée dans des traditions royales étouffantes quand elle ne souhaitait que vivre comme elle l’entendait. Bref, quand on se souvient que Lick the Star, le court-métrage que la cinéaste réalisa en 1998, posait déjà les bases de ses obsessions, on voyait péniblement comment Somewhere pouvait creuser un sillage maintenant bien connu. Face dépressive de Lost in Translation, auquel il semble impossible de ne pas le comparer, le dernier film de Sofia Coppola charme autant dans une forme qui frôle constamment l’auto-caricature, qu’il apparaît redondant à l’aune des propos qu’elle met en images.
Somewhere expose d’ailleurs son postulat de départ dès son plan-séquence d’ouverture. Aussi symbolique de ses intentions qu’interminable, celui-ci fixe une Ferrari multiplier inlassablement les tours de piste sur un circuit automobile circulaire. Si en voir sortir le personnage interprété (brillamment) par Stephen Dorff ne constitue en rien une surprise, il est donc clair que le film explorera une nouvelle fois une mélancolie de l’existence. Celle d’un acteur célèbre très porté sur les bières, les stripteaseuses et les coups d’un soir, au sein d’un univers dont il ne parvient plus à tirer profit. À la différence qu’il vit cette fois-ci dans un monde qu’il connaît par cœur, au milieu de Los Angeles et en pleine campagne promotionnelle. Et là, Sofia Coppola nous promène en terrain balisé : pour elle, l’errance passe encore par la répétition des séquences et les longs plans sur le regard sans vie de son acteur, dont la principale activité consiste à marcher dans les couloirs de son hôtel en attendant une prochaine Lap dance. De là à dire que la réalisatrice capitalise sur Lost in Translation, il n’y a qu’un pas très aisé à franchir, d’autant que Somewhere s’avère radin vis-à-vis de ses apports thématiques, précieux eu égard à tout ce qui a déjà été développé dans les films qui l’ont précédé.
Ce qui fait que Somewhere ne peut être totalement considérée comme une œuvre préfabriquée, c’est la noirceur (toute relative néanmoins) qui l’imprègne et le contraste qu’elle pourra susciter. Là où Scarlett Johansson et Bill Murray déambulaient dans les nuits tokyoïtes sillonnées de lumières et de sons, Stephen Dorff incarne un homme sombre, incomplet (le bras gauche dans le plâtre), la plupart du temps seul dans un univers monochrome, où l’amertume est moins rendue par ses actes que par l’image, granuleuse et ne laissant subsister aucun espoir.
Aussi l’apparition de sa fille, intelligemment voulue onirique de par son contexte (au réveil) et par la mise en scène de Coppola (un gros plan sur la main de l’adolescente, écrivant son nom sur le plâtre de son père comme signe d’une possible guérison) peut-elle être perçue par le spectateur comme la lumière nécessaire à un homme sans le moindre repère et qui ignore jusqu’à sa propre personnalité (« qui est Johnny Marco ? » demandera une journaliste, sans obtenir de réponse). Figure épicentrique du récit, celle-ci sera, pour le film comme pour son père, une véritable source de vie. Si Somewhere n’y gagne pas en intérêt narratif, il y trouvera en tout cas ses plus beaux instants. Sofia Coppola se montre en effet toujours à l’aise pour créer des ambiances, au risque parfois de se parodier (notamment dans l’étirement des plans, sans quelconque logique de sens) : tout comme il lui suffit d’un simple raccord dans l’axe pour nous faire ressentir un amour paternel (géniale séquence de patinage), la cinéaste use avec pertinence des symboles pour développer son histoire, l’air de rien y paraître.
Ainsi fonctionne le film, parcouru de moments de pure poésie et de désespoir, qui porte la marque de son auteur dans ses moindres recoins sans qu’il n’en bénéficie pour autant en substance. Somewhere apparaît donc comme une limite fondamentale dans le cinéma de Sofia Coppola, lequel devra fatalement se renouveler sous peine de lasser son public. On ne peut pas dire que l’on ne s’y attendait pas un peu.
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Jean-Patrick Géraud 9 janvier 2011
Somewhere - Sofia Coppola - critique
Somewhere constitue sans doute un point limite. La thématique du "rien", qui a fait la gloire de Sofia Coppola, peine ici à retrouver l’éclat de ses précédents films.
Et pourtant, Somewhere ne déçoit pas. Drôle, subtil dans l’évocation du rapport père / fille, il confirme la singularité de Sofia Coppola dans le paysage cinématographique actuel. Une singularité précieuse, et qui n’en finit pas de redonner au terme "poésie" toute sa portée.