La terre outragée
Le 4 mai 2013
Un conte cruel et grotesque sur les dérives de l’énergie nucléaire. Entre attachement terrien et déracinement forcé, The Land of Hope scrute à la loupe les racines du mal atomique. Un plaidoyer qui manque de recul.
- Réalisateur : Sono Sion
- Acteurs : Isao Natsuyagi, Jun Murakami, Megumi Kagurazaka
- Genre : Drame
- Nationalité : Britannique, Taïwanais, Japonais
- Durée : 2h13mn
- Date de sortie : 24 avril 2013
- Plus d'informations : http://www.metrofilms.com/films/675...
L'a vu
Veut le voir
Un conte cruel et grotesque sur les dérives de l’énergie nucléaire. Entre attachement terrien et déracinement forcé, The Land of Hope scrute à la loupe les racines du mal atomique. Un plaidoyer qui manque de recul.
L’argument : Un tremblement de terre frappe le Japon, entraînant l’explosion d’une centrale nucléaire. Dans un village proche de la catastrophe, les autorités tracent un périmètre de sécurité avec une bande jaune qui coupe en deux la localité. Une sorte de ligne de démarcation absurde, entre danger bien réel et sécurité toute théorique. Au sein de la famille Ono, les parents, âgés, choisissent de rester. Leur fils et son épouse acceptent d’être évacués pour fuir la radioactivité…
Notre avis : Figure emblématique de la contre-culture japonaise, Sion Sono, réalisateur révolté, artiste engagé, trublion poétique (’’Guérilla’’) n’en est pas à son coup d’essai. Découvert du grand public en 2001 avec l’envoûtant Suicide Club, la diversité de sa filmographie, loin d’imposer un style unifié, propose une série d’éclats cinématographiques sensuels, punks, sociétaux et fabuleux. D’un genre à l’autre, Sion Sono navigue à loisir, filmant aussi bien le suicide de 54 adolescentes que la prostitution d’une femme au foyer (Guilty of Romance). Avec The Land of Hope, la caméra au vent mauvais du nucléaire, Sion Sono s’attaque au politique. Inspiré de l’incident de Fukushima, le long-métrage s’attache à dénoncer, plus que la dangerosité atomique, l’absurdité d’une gestion étatique mensongère. Porteur de rupture, les éternels marginaux du cinéma de Sion Sono se retrouvent embarqués dans l’aventure. Mais ici, le schéma s’inverse. Jusqu’alors poussé par un désir morbide qui viendrait réveiller leur corps endormis, nos héros n’ont cette fois ci pas le choix. Dès les premiers plans, le nuage mortifère est là, contraint et subit. Pris au piège d’une menace invisible, Isao et Jun explosent. D’une pulsion de vie. Traitement réaliste, esthétique arrachée et pris sur le vif, poésie cruelle et mélancolie fataliste, The Land of Hope réunit tel un kaléidoscope, la multiplicité de la folie nucléaire. Face à l’invisible et l’impalpable, la guerre est perdue d’avance...Tout le monde le sait. Et tout le monde fait semblant. Munis de pieux de bois, les petits soldats gouvernementaux martèlent le sol d’une ligne de démarcation. D’un côté la zone contaminée, de l’autre la zone saine. Et une décision arbitraire, l’évacuation. Retranchée derrière la ligne, la famille Ono pose et repose désespérément la même question : pourquoi eux et pas nous ? Robotisés, les soldats calfeutrés dans leur combinaison anti-radiation jettent avec violence et dédain un ’’vous ne risquez rien’’. Pourtant, au fil des jours, la zone sinistrée ne cesse de s’agrandir....
Première fiction japonaise osant cibler le nucléaire, The Land of Hope brille d’une beauté ravagée. Restée hors-champ, l’explosion s’évacue de tout spectaculaire pour se focaliser sur l’essentiel : la brûlure, le vide et l’abandon. A l’image, un champ de ruines et deux enfants cherchant inlassablement leur CD des Beatles, en quête d’enfance. Un peu plus loin dans le cadre, un jeune couple guette des parents disparus. Grandie trop vite, l’enfance a perdu le nord. Sur l’étendue enneigée, la silhouette du couple s’efface dans un décor apocalyptique.
Sourde et planante, la radioactivité s’insinue partout et pénètre les racines de l’avenir. Au village, Jun tombe enceinte. Son mari se résout à partir. Réfugiée à des dizaines de kilomètres de là, elle réalise que le combat ne fait pourtant que commencer.
Audacieux sur le fond, The Land of Hope pèche sur l’hétérogénéité de sa forme. Constamment entre deux eux, celui du drame réaliste et celui du mélo intimiste, le film se perd dans une discordance de ton, qui bien souvent, loin de faire naitre l’émotion, crée l’absurde. Didactique et explicatif, il se fait porteur d’un message mais manque de liant narratif. A chaque scène, les personnages évoluent isolement. Un manque de fluidité qui se double d’une tendance à l’étirement dramatique. Distendu sur le rythme, le récit s’attarde et s’égare dans la redondance. Plus de dix minutes parfois sur une même action ! De plus, l’hystérique de jeu de certains acteurs flanche à plusieurs reprises dans le pathos. Surlignée maladroitement dans les dialogues, l’émotion est ici à double tranchant : absente ou trop présente. Résultat ? La sauce ne prend pas. Reste le génie du cinéaste, qui malgré les lourdeurs de son scénario, sait planter l’ambiance. Plan après plan, les bonnes trouvailles s’égrènent dans le champ : condamnation de la maison au papier bulle, prise de température radioactive chez le primeur, ballade hivernale en tenue de cosmonaute et à visage masqué, le cinéaste se plait à imager l’absurdité de la lucidité. Seule contre tous, Jun fait un choix. Celui de déterrer la tête d’une terre infectée et de ranger son costume d’autruche au placard. Une prise de conscience qu’aucun japonais ne semble prêt à entamer et surtout pas le gouvernement. Perdu dans un recoin du cadre, une télévision couleur pastel conseille tout sourire, d’oublier, tout simplement. De ce bonheur désenchanté, Jun n’en veut pas. Quitte à devenir la brebis galeuse du troupeau. Une marginalité que la société fusille du coin de l’œil. Jun est prévenue. S’il elle persiste à refuser le déni, elle sombrera dans la folie radioactive, et étouffée par sa peur, ne parviendra pas à mettre au monde son enfant. Mais quel avenir a-t-elle +à lui offrir ? Tout ou rien. L’ombre d’une vie, un compteur Geiger greffé à la place du cœur.... Sobre et esthétiquement subtile, The Land of Hope capture et interroge intelligemment le poids de la norme, pesant sur le sol nippon, presque aussi lourd que le nucléaire. Un beau sujet terni par un récit maladroit. Décevant.
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.