Le 25 mars 2014
Une oeuvre inclassable et virtuose, qui brosse le portrait d’un monde aux prises avec l’inconnaissable.
- Réalisateur : Kiyoshi Kurosawa
- Acteurs : Kyōko Koizum, Haruka Ayase, Takeru Sato
- Genre : Science-fiction, Mélodrame
- Nationalité : Japonais
- Durée : 2h07mn
- Date télé : 12 avril 2017 23:30
- Chaîne : ARTE
- Titre original : Riaru : Kanzen naru kubinagaryû no hi
- Date de sortie : 26 mars 2014
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Une oeuvre inclassable et virtuose, qui brosse le portrait d’un monde aux prises avec l’inconnaissable.
L’argument : Atsumi, talentueuse dessinatrice de mangas, se retrouve plongée dans le coma après avoir tenté de mettre fin à ses jours. Son petit-ami Koichi ne comprend pas cet acte insensé, d’autant qu’ils s’aimaient passionnément. Afin de la ramener dans le réel, il rejoint un programme novateur permettant de pénétrer dans l’inconscient de sa compagne. Mais le système l’envoie-t-il vraiment là où il croit ?
Notre avis : L’argument de Real a des airs de déjà-vu. On croirait connaître depuis toujours ces histoires où le monde réel et le monde virtuel se superposent, où les intrigues s’entrecroisent, où les destins s’entrechoquent sur le double terrain de la réalité (défaillante) et de l’imaginaire (défaillant aussi mais compensatoire). C’est que la mise en question de notre rapport au réel, notamment via ses mutations technologiques, intéresse au plus près le cinéma dans son lien à d’autres supports (comme les jeux vidéos par exemple) ; nombre de films en ont fourni l’illustration exemplaire (Matrix pour n’en citer qu’un). C’est dans cette problématique que semble se fondre, au premier abord, le scénario de Real (adapté d’un roman : A perfect day for plesiosaur). Tout est fait dans ce film pour nous rappeler que deux univers cohabitent : la réalité d’une part, de l’autre, une forme d’état second entre l’imaginaire et l’inconscient. Ces deux territoires sont d’emblée délimités, le personnage de Kôichi recourant à un service médical futuriste pour rendre visite à celle qu’il aime (Atsumi). Le transfert d’un monde à l’autre occasionne des effets de brouillage visuellement marqués et se manifeste par la présence de « zombies philosophiques », spectres sans identité (ils ressemblent à des figurants de jeux vidéos), qu’Atsumi invente malgré elle. Les deux terrains sur lesquels se situe l’intrigue semblent donc, a priori, clairement balisés ; on peut même dire à certains égards, qu’ils le seront tout au long du métrage, car en dépit des renversements que ménage l’intrigue, le scénario ne remet pas en cause la bipartition fondamentale entre un espace de l’imaginaire (plutôt morbide et intérieur) et un espace s’apparentant à la réalité (davantage extérieur).
Ce qui est original, c’est d’assumer cette structuration et d’en faire la matière d’une ample méditation visuelle, aux résonances philosophiques et politiques. Au fond, l’intrigue amoureuse apparaît rapidement comme un support scénaristique que le cinéaste dépasse, pour filmer au plus près l’errance de ses personnages, confrontés à l’hostilité du monde qui les entoure. De ce point de vue, Real est, comme Shokuzai, une puissante allégorie de la condition humaine, doublée d’une réflexion poignante sur la notion de « faute ». Si la frontière séparant la réalité de la fiction est a priori stable dans le film, c’est qu’elle se double d’une autre frontière, celle qui sépare Tokyo de l’île inquiétante où Kôichi cherche le plésiosaure ; île qui a subi des dommages écologiques notables dus au projet d’installation d’un centre touristique. Difficile de ne pas voir, dans les paysages chaotiques qu’elle donne à voir, un écho des événements qui ont récemment secoué le Japon. Le spectre de Fukushima rôde sur plus d’une séquence (la grande ville est poussiéreuse, peuplée de zombies) ; et au-delà, les visions d’une mer sombre, abyssale, espace de tous les possibles, nous rappelle notre angoissante solitude face à l’inconnaissable. De fait, comme Shokuzai, Real est une histoire de fantômes, où l’intrigue première – qui donne corps au film – a sans doute moins d’importance que le déploiement de métaphores qu’elle engendre et que le trouble sensoriel qu’elle suscite.
C’est que le film, en effet, n’applique aucune recette par rapport au schéma initial qu’il se propose. A certains égards, les revirements sont même prévisibles : Kurosawa refuse les grands effets, les « ficelles » scénaristiques, et si son film emprunte à des genres variés (science-fiction, mélodrame, film de zombies, etc.) c’est bien moins pour impressionner son public que pour relancer la dynamique de l’action et donc la poésie des images. Le film s’offre ainsi comme un voyage, qui interroge notre rapport à l’inconnaissable dans ce qu’il a à la fois d’inquiétant et de fascinant (voire de libérateur ; le film le suggère à plusieurs endroits, et la mort apparaît aussi comme un refuge). On songe parfois à Stalker de Tarkovski, pour la recherche d’une ambiance inquiétante et l’art de filmer des environnements hostiles, alors même qu’aucune « catastrophe » n’a été mentionnée explicitement. A plusieurs endroits, le film déploie aussi de poignantes envolées lyriques, où affleure comme une nostalgie de l’enfance (celle-ci étant à jamais disparue, effacée avec les souvenirs). Ce qui dès lors transparaît, dans cette quête initiatique et erratique, c’est que le réel n’est saisissable que de manière provisoire, éphémère ; en cela on peut dire que cette oeuvre virtuose s’apparente bien moins à un film de genre qu’à une méditation poignante sur la fugacité des choses et sur la grande tristesse de l’homme, en proie à l’éternel dessaisissement.
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