Quelque part dans la nuit - Joseph L. Mankiewicz - critique

Critique : Produit par Darryl F. Zanuck à la 20th Century Fox, Quelque part dans la nuit est typique du film noir, un genre qui a connu son âge d’or dans les années 40, et qui avait déjà fourni des classiques de la trempe du Faucon maltais. Longtemps ignorée des annales du cinéma, l’œuvre a été injustement considérée comme un film mineur de Mankiewicz, qui a également cosigné le scénario. Sans doute la complexité du récit a-t-elle constitué un handicap à son succès critique et public, encore que Howard Hawks, William Faulkner et Raymond Chandler ne s’étaient pas privés d’user d’une intrigue sophistiquée dans Le grand sommeil. Le casting de série B manque peut-être d’acteurs charismatiques et John Hodiak est un héros de polar un peu raide, loin des compositions légendaires de Bogart ou Mitchum. Mais sa partenaire Nancy Guild, aussi belle que subtile dans son jeu d’actrice, vaut bien les Veronica Lake ou autres Lizabeth Scott et n’est pas sans évoquer la troublante Gene Tierney. On est surtout frappé par l’habileté avec laquelle Mankiewicz se meut dans les conventions de studio d’un genre codifié, tout en donnant des indices sur son propre univers. Les amateurs de films noirs retrouveront en effet les éléments incontournables des œuvres associées à ce courant : séquences nocturnes ténébreuses (belle photo de Norbert Brodine), de ruelles résidentielles désertes en tripots de docks malfamés, intrigue à tiroirs avec fausses pistes et faux coupables, narration alternant longs dialogues explicatifs et brèves séquences d’action épurées, sans compter les éléments de scénario dans l’air du temps, du complot d’anciens nazis à la thématique du retour de guerre des soldats.

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Dans ce périmètre balisé, il ne manque ni l’hôpital suspect, ni l’inspecteur bienveillant mais malin (Lloyd Nolan), ni l’ami trop fidèle pour être honnête (Richard Conte). Répondent aussi à l’appel le méchant sournois reconverti en voyant extralucide (Fritz Kortner), le barman véreux (Whit Bissell), le vieux fou excentrique (Houseley Stevenson), sans oublier la femme fatale de bas étage (Margo Woode) ou la vieille fille pathétique (Josephine Hutchinson). Ce petit monde de roman noir gravite autour du protagoniste solitaire, d’autant plus perturbé qu’il ignore tout de ses actes passés. Mais on sera reconnaissant à Mankiewicz de ne pas avoir eu recours aux lourdes ficelles de scénario psychanalytiques, piège dans lequel tombèrent à l’époque Hitchcock avec La maison du docteur Edwardes ou Lang avec Le secret derrière la porte. Le futur auteur de La comtesse aux pieds nus préfère aborder des thèmes qui seront au centre de ses futurs chefs-d’œuvre : la manipulation, la trahison et les affres de la dualité culmineront en effet dans les scénarios de L’affaire Cicéron ou de Ève...