Le 16 décembre 2020
Un sommet de la filmographie chabrolienne et un affrontement sans pitié entre deux hommes, sur fond de vengeance.


- Réalisateur : Claude Chabrol
- Acteurs : Jean Yanne, Michel Duchaussoy, Caroline Cellier, Anouk Ferjac, Dominique Zardi, Raymone, Louise Chevalier, Jean-Louis Maury, Robert Rondo
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Thriller, Policier
- Nationalité : Français, Italien
- Distributeur : Compagnie Commerciale Française Cinématographique (CCFC)
- Editeur vidéo : Opening
- Durée : 1h50mn
- Date télé : 17 février 2025 22:16
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Date de sortie : 5 septembre 1969

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Résumé : Pour venger la mort de son fils, tué par un chauffard, un homme se lance sur la piste du coupable. Il parvient bientôt à retrouver sa trace et devient un intime de sa famille. L’homme se révèle un être abject haï de tous.
Critique : Que la bête meure chemine inlassablement vers une tragédie qui associe à la fois le bourreau et la victime : l’ignoble Paul Decourt, bourgeois autosatisfait et tyran domestique, sait que son acte criminel lui vaudra le déchaînement d’une justice immanente et il l’anticipe en feignant d’être un idiot naïf ; l’écrivain Charles Thénier suit sa volonté de vengeance, en translatant les postures du romancier dans le dessein qu’il poursuit : il métamorphose d’abord une femme en personnage de la propre histoire qu’il organise, la manipule à son aise pour qu’elle le mène jusqu’à son ennemi, de la même manière qu’un écrivain ferait de n’importe quel individu fictionnel le fruit de son propre désir, pour lui ouvrir un chemin conforme à une idée romanesque. N’oubliant jamais ce qu’il doit à la littérature, en dépit de son immense douleur, Thénier se grise des péripéties dont il consigne les sentiments qu’elles lui inspirent et en assure la narration par l’intermédiaire d’une voix off.
Dans un premier temps, on croit qu’il s’agit bien là d’un talon d’Achille : celui de chaque auteur, semble nous dire Chabrol. Que tout finisse en un texte dont la matérialité devient une preuve, ce serait donc l’expression d’une forme d’orgueil littéraire, punie par la roublardise d’un homme fruste et brutal. Tombant sur le journal de son hôte, Decourt inverse la tendance, en disposant d’une longueur narrative d’avance. Dès lors qu’il s’embarque sur le voilier pour effectuer une promenade en compagnie de Thénier, il sait ce qui adviendra et la riposte qu’il organise est aussi mue par un réflexe épidermique : le notable béotien a la possibilité d’éliminer l’intellectuel raffiné, après avoir fauché la vie de son fils. Mais le père vindicatif, transformé en diariste, demeurera jusqu’au bout le maître de son histoire. Son talon d’Achille n’en est pas un, outre qu’une autre ombre tragique plane sur cette histoire : celle d’Œdipe.
Chez Chabrol, la lutte des classes n’est pas un vain mot et l’on mesure à quel point, dans cette œuvre au titre radical, comme dans un autre de ses films si notoirement marxiste, La cérémonie, l’ironie féroce contre la bourgeoisie ne préserve pas plus l’entourage que l’incarnation d’un statut sous la forme d’un individu : les non-dits de la famille dessinent un horizon d’hypocrisie indépassable, rendent possible l’existence d’une créature monstrueuse, hurlante avant que d’être, dans une scène à glacer le sang, où l’efficacité du hors-champ est exploitée à son maximum. En salaud bouffi de prétention dérisoire, Jean Yanne est inoubliable. De son côté, Michel Duchaussoy, incarne, avec une impressionnante densité dramatique, un personnage irrémédiablement blessé qui n’a plus rien à perdre.