Un chemin de croix
Le 1er mai 2015
Après une traversée du désert longue de plusieurs années, Kim Ki-duk, enfant terrible du cinéma coréen nous revient avec un film choc ayant obtenu un Lion d’Or. Désenchanté, Pieta horrifie autant qu’il déstabilise. Une preuve d’audace assurément.
- Réalisateur : Kim Ki-duk
- Acteurs : Lee Jung-Jin, Min-soo Jo, Woo Ki-hong
- Genre : Drame
- Nationalité : Sud-coréen
- Durée : 1h44mn
- Date de sortie : 10 avril 2013
- Plus d'informations : http://drafthousefilms.com/film/pieta
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Après une traversée du désert longue de plusieurs années, Kim Ki-duk, enfant terrible du cinéma coréen nous revient avec un film choc ayant obtenu un Lion d’Or. Désenchanté, Pieta horrifie autant qu’il déstabilise. Une preuve d’audace assurément.
L’argument :Abandonné à sa naissance, Kang-do est un homme seul qui n’a ni famille, ni ami. Recouvreur de dettes sans pitié et sans compassion, il menace ou mutile les personnes endettées dans un quartier destiné à être rasé. Un jour, Kang-do reçoit la visite d’une femme qu’il ne connaît pas et qui lui dit être sa mère. Pour la première fois de sa vie, le doute s’installe en lui…
Notre avis : Hantée par l’éternelle violence, l’oeuvre de Kim Ki-Duk, riche de traumas et de souffrances, explore depuis toujours le sentier de la rédemption. Damnés et marginaux, ses personnages errent, comme déshumanisés. Jusqu’au paroxysme de la robotisation illustré par son dernier né Pieta. Fantomatique avec sa gestuelle mécanique et son visage mutique, Kang-do (Lee Jung Jin) n’est pas, il sert. Recouvreur de dettes pour le compte d’une entreprise qui nous restera invisible, il personnifie à lui seul la perversion d’une société coréenne contaminée par la fièvre de l’argent.
Endettées jusqu’au coup, les victimes n’ont plus que leur bras à offrir, littéralement. L’ouverture de Pieta ne fait pas dans la dentelle avec ses trente minutes d’une cruauté froide et d’une noirceur écoeurante. Dans le quartier de Cheongguechon, zone métallurgique sinistrée et repaire d’enfance du cinéaste, les paiements se font ainsi à coups de canifs, dans le sang et les pleurs. D’aucuns diront que l’insoutenable violence de ce premier acte révulse et que le cinéaste verse dans le plaisir de l’agonie. Et s’il est vrai que soutenir le regard atrocement vide du bourreau impose une mise à distance, le propos développé par la suite justifie à lui seul tant de barbarie. Construit tel un triptyque, l’oeuvre de Kim Ki-Duk se divise en trois temps : l’exposition d’un héros haïssable, l’irruption de son passé, et l’épreuve du pardon.
Personnage amplement métaphorique, Kang-Do est l’Atlas des temps modernes, portant sur son dos, non le monde, mais le péché originel de ses habitants. Accablé par ce poids, il traîne sa carcasse d’un pas lourd dans les labyrinthiques ruelles de fer de Cheongguechon. Ici, l’esthétique s’ancre dans la dualité : celle d’une fiction sur laquelle se greffe épisodiquement des lambeaux de documentaire. Baignant dans un contexte social fort - un quartier sur le point de disparaître et la misère sociale de ses travailleurs - Pieta tranche par la froideur et la dureté de son réalisme. Avec un montage parfaitement maîtrisé, le cinéaste se plait à écorcher nos oreilles de cris stridents, ceux des victimes et ceux des rideaux métalliques abaissés sur le cadre. A l’écran, la torture est presque toujours invisible. Hors champ, la douleur s’éternise pourtant effroyablement dans notre imaginaire. L’horreur n’en est que décuplée. Justement accordés, l’image et le son portent une intrigue, qui bien que structurée, reste mécanique et déséquilibrée. Et bien souvent, le parcours des personnages, que ce soit celui de Kang-Do ou celui de la mère, sombre dans l’illustration du propos. Revenue se faire pardonner par le fils qu’elle a abandonné, Mi-Sun suit Kang-Do contre son gré, sans but précis et sans jamais vraiment se lier. Une distance frustrante. Opaque et impénétrable, la déshumanisation du héros, parti-pris du cinéaste et prise de risque manifeste, désolidarise le spectateur de l’intrigue. Sacrifiés sur l’autel du message, la performance d’acteur de Lee Jung Jin n’en reste pas moins époustouflante d’introspection, de sobriété, et de fatalité. Cyclique, Pieta pose dès les premiers plans, les indices de la tragédie. Condamné avant l’heure, chaque personnage évolue dans un décor surchargé, clôturé et dangereusement angulaire.
Dans le cadre, les outils de travail deviennent instruments d’agression. Armé de ces derniers, Kang-Do marque ses débiteurs du sceau de sa souffrance, celle de la solitude. Et alors que l’on pensait ne jamais pouvoir s’attacher à ce bourreau, Kim Ki-duk inverse les rôles et réussit le tour de force de nous arracher de la pitié.
Pieta c’est aussi ça, la douloureuse rédemption d’une violence née d’un vide d’amour. Profondément humaine, la monstruosité s’hérite et se transmet, à tel point qu’on ne parvient plus à reconnaître ses traits sur un seul et même visage.
Crépusculaire et cruellement noir, le long-métrage baigne dans une grisaille qui jamais ne se dissipe. Enracinés dans un milieu mortifère, ses héros s’engouffrent progressivement dans la bouche d’une ville dite dévorante, jusqu’à s’y enterrer, littéralement. Sur l’écran, l’image d’une trace ensanglantée sur le bitume se déroule à l’infini... Le résultat est un véritable électrochoc, une oeuvre sacrificielle, parfois un brin didactique, critiquant avec sécheresse l’atomisation de nos sociétés.
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