Le corps du deni
Le 28 janvier 2015
Petzold reforme le couple de Barbara pour un Vertigo après Auschwitz en donnant le rôle moteur au personnage féminin. Brillant et mieux encore.
- Réalisateur : Christian Petzold
- Acteurs : Nina Hoss, Ronald Zehrfeld, Nina Kunzendorf, Michael Maertens, Daniela Holtz
- Genre : Drame
- Nationalité : Allemand
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Durée : 1h50mn
- Date télé : 11 janvier 2017 20:55
- Chaîne : Arte
- Date de sortie : 28 janvier 2015
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Résumé : Juin 1945. Grièvement blessée et défigurée, Nelly, une jeune femme rescapée d’Auschwitz, rentre enfin chez elle, à Berlin. Elle est accompagnée de sa fidèle amie Lene, une employée de l’Agence Juive. À peine sortie d’une opération de reconstruction faciale, Nelly part à la recherche de son mari, Johnny, même si Lene le lui déconseille vivement. Toute la famille de Nelly a été exterminée. Johnny, convaincu que sa femme n’a pas survécu, ne la reconnaît pas quand enfin elle le retrouve. Il ne voit en elle qu’une troublante ressemblance et ne peut pas croire qu’il s’agit bien d’elle. Dans le but de protéger le patrimoine de sa famille, il lui suggère d’endosser l’identité de sa défunte épouse. Nelly accepte et devient son propre imposteur. Elle espère ainsi savoir si Johnny l’a réellement aimée et s’il l’a trahie. Nelly veut récupérer sa vie.
Critique : Dans le douzième long métrage de Christian Petzold (téléfilms compris), Phoenix est le nom d’un bar pour soldats américains dans l’Allemagne occupée de l’immédiat après-guerre. On y chante, contre toute vraisemblance, des chansons de Kurt Weill. Cela suffit pour signaler qu’exactitude de la reconstitution historique et stylisation font ici bon ménage.
Phoenix (Arizona) est aussi la ville américaine où se déroulent les premières séquences de Psychose. Ce n’est probablement pas un hasard.
Commentant son film lors de la séance d’ouverture du 19e Festival du cinéma allemand de Paris, le cinéaste signalait, pour l’anecdote, que l’œil écarquillé de Janet Leigh dans la fameuse scène de la douche de Psychose était reproduit en couverture de l’édition allemande du roman de Hubert Monteilhet Le retour des cendres (Denoël 1961) qui a servi de point de départ au scénario de son film.
- Phoenix (Christian Petzold 2013/14) © Schramm Film Koerner & Weber / Diaphana
La filiation hitchcockienne ne surprendra pas les familiers du cinéma de Petzold qui, outre son admiration déclarée pour le maître, partage avec celui-ci la précision maniaque d’une mise en scène à la fois classique et organisée autour de choix formels tranchés, ainsi qu’une capacité à donner une importance déterminante à des détails et gestes a priori anodins, et à transformer n’importe quel décor en lieu du crime et de la réminiscence.
Mais Phoenix c’est d’abord le Phénix, l’oiseau qui renaît de ses cendres.
Le film est donc le récit d’un retour d’entre les morts, d’une renaissance suivie d’un cheminement douloureux vers l’âge adulte à l’issue duquel l’héroïne pourra se libérer d’un passé, d’une vie et d’une identité antérieures qu’elle est obligée d’abord de reconstruire, de ressusciter pour pouvoir s’en défaire, depuis ses premiers pas chancelants dans la chambre d’hôpital, le visage enveloppé de bandelettes telle une frêle momie (on pense forcément aux Yeux sans visage), jusqu’à sa sortie de champ finale, lorsqu’elle s’échappe du film (Petzold interdisant tout simplement à son opérateur de faire le point sur elle lorsqu’elle s’éloigne).
Cette renaissance passe par le biais d’une opération de reconstitution qui, Hitchcock toujours, vient tout droit de Vertigo, c’est à dire du mythe de Pygmalion et Galatée, le cinéaste et son coscénariste Harun Farocki ayant décidé de reproduire l’histoire de la transformation de la femme vivante en sosie d’une femme (crue) morte qui n’est autre qu’elle même, mais en adoptant son point de vue à elle et non plus celui de l’homme.
- Phoenix (Christian Petzold 2013/14) © Schramm Film Koerner & Weber / Diaphana
Ce changement de perspective permet de donner un relief particulier au mari metteur en scène interprété par un Ronald Zehrfeld fébrile qui, jouant pour la première fois un rôle de méchant, réussit à rendre touchant un personnage auquel le scénario se refuse d’accorder des circonstances atténuantes et dont l’aveuglement (il est évident qu’il ne veut pas la reconnaître), l’obstination à dissocier le corps et la voix jusqu’au moment de leur irréfutable réunion dans le chant, relève du déni pur et simple, de l’impossibilité d’assumer sa culpabilité.
Il permet surtout au personnage féminin de devenir le véritable moteur du film, celle qui observe et très vite prend les choses en main, dirigeant celui qui croit la diriger, cherchant à lui faciliter les choses, à provoquer une reconnaissance, un aveu d’amour (ou de culpabilité) impossible.
Nina Hoss est simplement extraordinaire et réussit à ne pas réduire l’évolution, le lent cheminement de son personnage à une simple (et époustouflante) performance.
En reformant le couple de Barbara pour accompagner cette fois ci, non la naissance progressive d’un amour mais la tentative d’un recommencement (im)possible, Petzold a assurément fait le bon choix, tant l’alchimie entre ces deux là fonctionne à fond.
- Phoenix (Christian Petzold 2013/14) © Schramm Film Koerner & Weber / Diaphana
Par ailleurs, et tout en assumant le côté un peu conceptuel (et, on l’a vu, fortement référentiel) de sa démarche, il parvient de mieux en mieux à incarner son cinéma, à en intensifier l’impact émotionnel et dramatique.
S’aventurant en terrain périlleux (associer Auschwitz et le roman de gare, ce qu’il appelle lui-même le pulp) avec une audace contrôlée, visant l’effet maximum sans verser dans la complaisance (par exemple en gommant en partie la dimension érotique du roman pour éviter de tomber, comme tant d’autres, dans l’amalgame inepte entre nazisme et perversion sexuelle, rien n’étant, comme il tient à le rappeler, plus aseptisé et désérotisé que cette idéologie dont l’horizon serait la clinique désinfectée et l’élevage de poulets en batterie), il réussit un film qui garde une dimension ludique mais avec de véritables enjeux dramatiques, moraux, existentiels.
– Tournage du 16 août au 4 octobre 2013 à Brandenburg (RFA) et en Pologne Retour ligne manuel
– Sortie Allemagne : 25 septembre 2014 Retour ligne manuel
– Festival de San Sebastiàn : Prix FIPRESCI Retour ligne manuel
– Festival du cinéma allemand de Paris : Prix du public
- Phoenix (Christian Petzold 2013/14) © Schramm Film Koerner & Weber / Diaphana
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