Blancheur d’appel
Le 24 mars 2013
Un essai passionnant qui épouse le mouvement d’une oeuvre climatologique centrée sur les visages, le manque, le temps anachronique, où "l’image se vit comme le début d’une matière, le commencement d’une couleur".
- Réalisateur : Philippe Garrel
- Genre : Cinéma
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– 264 pages
– En librairie le 28 mars 2013
Un essai passionnant qui épouse le mouvement d’une oeuvre climatologique centrée sur les visages, le manque, le temps anachronique, où "l’image se vit comme le début d’une matière, le commencement d’une couleur".
L’argument : Riche d’une trentaine de titres, l’oeuvre de Philippe Garrel s’étend de 1964 à aujourd’hui. Elle est la seule de tout le cinéma français à avoir filmé une adolescence dans les années soixante (Les Enfants désaccordés, Droit de visite), puis la révolution de Mai 68 et ses retombées (Marie pour Mémoire, Le Révélateur…), la seule aussi à avoir rendu en films l’essence d’un amour fou et la substance d’un exil chimique (Les Hautes Solitudes, Un Ange passe…).
En 1979, Garrel tourne le sublime Enfant secret, avec lequel il quitte les rivages de l’expérimental pour entamer le second temps, plus narratif, de son oeuvre. Comment se retourner sur ces années d’expériences, les retraverser
et en ramener la puissance au présent ? C’est désormais la question de ce cinéma qui, depuis dix ans, s’invente et se réinvente dans la compagnie des stars : Le Vent de la nuit avec Catherine Deneuve, La Frontière de l’aube avec Laura Smet, Un été brûlant avec Monica Bellucci.
Ce livre est le premier essai consacré en France à Philippe Garrel. Il est accompagné d’un entretien inédit avec le cinéaste dans lequel il évoque sa méthode. Tournant en prise unique, Garrel crée une dialectique complexe entre l’acteur au présent et le passé enfoui du personnage, souvent inspiré de ses compagnes ou compagnons de route (Nico, Jean Seberg, Jean Eustache…). Philippe Azoury retrouve par les mots la charge poétique, la part d’intangible, d’invisible, de silence que portent en eux les films de Philippe Garrel.
Notre avis : Complétant au yeux de Philippe Azoury une trilogie informelle qui comprend le livre sur Cocteau (Désordre, co-écrit avec Jean-Marc Lalanne) et celui sur Werner Schroeter, cet essai consacré à Philippe Garrel n’adopte pas la forme classique de l’étude chronologique ou thématique mais semble naître tout naturellement de la fréquentation intime et prolongée de l’oeuvre d’un cinéaste qui poursuit une trajectoire singulière depuis un demi siècle puisque, deux ans avant Les enfants désaccordés (1964) il réalisait à quatorze ans un premier court-métrage qu’il détruira par la suite. Une oeuvre où, depuis L’enfant secret (1979), l’auteur entend ce temps si bizarrement introspectif qui refuse de revenir en arrière tout en ne travaillant que sur la mémoire, ce temps anachronique, ce rebouclage qui emporte ses derniers films dans des volutes libres (p. 15)
- Elle a passé tant d’heures sous les sunlights (Garrel 1984)
Déclarant dans son introduction avoir longtemps, longtemps, rêvé les films de Garrel avant de les voir l’auteur explique l’écriture du livre en deux temps, commencée en 2005 sous forme de réflexions journalières notées dans des carnets (dix au total) à partir d’un mot, d’un verbe, d’un adjectif qui serait le déclencheur, l’embrayeur d’idées, d’affects ou d’images puisées chez Philippe Garrel puis reprise à l’automne 2012.
En dépliant ce travail sur le temps long, psychédélique de la survivance, en en extrayant, non sans difficultés, ce qui s’était déposé dans l’inconscience de ces années à tout noter Azoury a composé ce livre où un entretien avec le cinéaste (De la méthode) s’intercale entre Echos du silence, une première partie faite d’aperçus de deux lignes ou de trois pages, aux titres souvent évocateurs (Avancer, faire des noeuds ; Dans le blanc du plan ; Le rêve nous veille), et une deuxième, La chance du recommencement, plus construite, en sept chapitres (Ecarts ; aimer dans le temps).
Avec le brio qu’on lui connaît et un sens indéniable de la formule heureuse (la blancheur d’appel des visages de femmes), Azoury explore, décrit, raconte, convoque l’idiot nietzschéen, messager sans messages, mélange de traits sublimes, morbides et puérils, cite Proust (Le séjour des mortels est à jamais séparé du sombre et transparent royaume auquel çà et là servaient de frontière, dans leur surface liquide et plane, les yeux limpides et réfléchissants des déesses des eaux), Guyotat (Une humanité veille sur celle qui dort, et celle qui dort rêve de celle qui ne dort pas) ou Michel de Certeau (Les mystiques n’ont pour présent qu’un exil).
- L’enfant secret (Garrel 1979)
Mais surtout il fait surgir par l’écriture les séquences trouées, interrompues, en lambeaux, … où Garrel n’hésite pas à laisser, là un bout d’amorce, là un plan noir, là un clap, là un plan cramé sur les bords par la lumière (p. 121) de ces films faits avec rien mais dont la puissance ... est de pouvoir décider de la durée du jour et du temps que prendront l’aube pour advenir et la nuit pour tomber, épousant le mouvement d’une oeuvre à l’atmosphérisme … absolu*, une oeuvre tout entière centrée sur le manque (Un plan que l’on a oublié de tourner. Ou une absence à soi-même, p. 110) où l’image se tient au bord de quelque chose (il s’agit toujours des bords nocturnes du plan, d’une image qui se vit comme le début d’une matière, le commencement d’une couleur, p. 88) et où un visage longtemps contemplé en arrive à décrocher du récit, … s’enferme dans une durée qui n’appartient qu’à lui (P 93).
A lire donc et à relire pour retourner, encore et encore, aux films de Philippe Garrel.
*Garrel, cinéaste des après-midis blancs, des nuits éternelles, du matin silencieux et du soleil froid. Garrel cinéaste thermique, battant le chaud (la sensualité, les tourments, tout ramener à l’état de sensation), comme le froid (faire mourir les choses avec un sens aigu de la désolation. (p. 37)
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