Le 13 novembre 2022
« Grand film malade » selon François Truffaut, Marnie possède toujours son pouvoir de fascination et reste fidèle à l’univers du maître, malgré ses imperfections.
- Réalisateur : Alfred Hitchcock
- Acteurs : Bruce Dern, Sean Connery, Tippi Hedren, Diane Baker, Louise Latham, Alan Napier, Martin Gabel, Mariette Hartley
- Genre : Drame, Thriller
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Paramount Pictures France, Les Acacias, Ciné Sorbonne (reprise), Théâtre du Temple
- Durée : 2h10mn
- Date télé : 13 novembre 2022 13:30
- Chaîne : Arte
- Reprise: 19 mai 2021
- Titre original : Marnie
- Date de sortie : 20 novembre 1964
- Plus d'informations : Dossier : les 25 polars cultes d’Alfred Hitchcock
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Mark Rutland sait qu’à chaque nouvel emploi Marnie Edgar déleste ses employeurs. Intrigué par son comportement et attiré par sa fascinante beauté, il l’engage tout de même comme secrétaire-comptable dans sa maison d’édition. Un jour, la jeune femme s’enfuit avec la caisse. Mark s’aperçoit du vol et donne le choix à Marnie entre le mariage ou la dénonciation à la police.
Critique : Adapté d’un roman de Winston Graham, Pas de printemps pour Marnie est dans la continuité thématique et stylistique de l’œuvre de Hitchcock. Sur le plan des personnages et de la narration, la névrose sévère de la protagoniste fait écho (sans les pulsions meurtrières) à la folie psychique de Norman Bates. D’ailleurs, la psychanalyse, qui permettait de dénouer l’action dans La maison du docteur Edwardes et Psychose, est ici bien plus présente, au prix d’une certaine redondance démonstrative, ainsi que le fait ironiquement remarquer Marnie à son mari jouant les détectives psy : « Toi Freud, moi Jane »… Comme dans Rebecca, une jeune femme de condition modeste se fait épouser en coup de vent par un trentenaire veuf et richissime, et s’installe dans sa demeure cossue où elle se sent étrangère, la jeune belle-sœur rivale et jalouse remplaçant la terrifiante Mme Danvers. Marnie elle-même est l’archétype de l’héroïne hitchcockienne à la fois manipulatrice et prise au piège ; le premier plan la montre d’ailleurs s’enfuir avec une mallette dont on apprendra qu’elle contient une importante liasse d’argent volée à son employeur, un comportement dans la continuité de celui de Marion Crane dans Psychose. Quant à la chevelure de Marnie, tantôt brune, tantôt blonde pour déjouer ses victimes, elle évoque indéniablement la stratégie capillaire de Madeleine/Judy dans Vertigo, d’autant plus qu’elle est plus tard sauvée de la noyade par son ange gardien, la baie de San Francisco laissant la place à la piscine d’un bateau de croisière. Sur le plan artistique et technique, cette production Universal permet de réunir une dernière fois certains des plus proches collaborateurs de Hitchcock, dont le directeur de la photo Robert Burks, le chef monteur George Tomasini et le compositeur Bernard Herrmann, dont les stridences musicales constituent un leitmotiv.
- 1964 © United Pictures. Tous droits réservés.
« Un grand film malade » : ce fut le ressenti de François Truffaut à propos de Marnie, exprimé dans le livre d’entretien Hitchcock/Truffaut. En comparaison de Fenêtre sur cour ou La mort aux trousses, chefs-d’œuvre incontestés, Marnie souffre en effet de plusieurs imperfections, en partie dues aux conditions de préparation et de tournage. Un démêlé avec le scénariste Evan Hunter, remplacé par Jay Presson Allen, est peut-être à l’origine d’une narration parfois bancale, cherchant sa voie entre drame conjugal et thriller. Les tensions entre Hitchcock et son actrice, qui refusa ses avances, et dont il menaça de briser la carrière (ce qu’il fit effectivement), expliquent sans doute qu’il ne l’ait pas dirigée avec rigueur. Grace Kelly, déjà princesse de Monaco, devait initialement tenir le rôle et faire par la même son retour exceptionnel au cinéma. Elle y renonça et Hitchcock fit alors appel à Tippi Hedren, avec laquelle il venait de tourner Les oiseaux. Actrice d’une beauté rayonnante mais raide dans sans son jeu et aux moyens dramatiques limités, Tippi Hedren peine à convaincre, loin du charisme d’une Kim Novak : en quelques scènes, la brune et subtile Diane Baker lui vole aisément la vedette. Enfin, la grandiloquence des scènes de psychanalyse improvisées nuit à la sobriété de la griffe hitchcockienne.
- 1964 © United Pictures. Tous droits réservés.
Et pourtant, Pas de printemps de Marnie reste un film fascinant, ce que confirment l’audience de ses multiples diffusions télévisées et le succès de ses reprises en salles. Le personnage le plus captivant est en fait Mark Rutland, à l’ambivalence surprenante, entre bienveillance et narcissisme, désir de protection et manifestation de cruauté (la scène clef de la croisière). Son fétichisme (l’amour à l’égard d’une criminelle kletptomane et mythomane) en fait un cousin éloigné du Scottie de Vertigo, qui lui assumait plus ou moins une tendance à la nécrophilie… Sean Connery, qui venait de triompher avec les deux premiers James Bond, lui prête sa présence savoureuse, qui compense les faiblesses de sa partenaire. C’est surtout la mise en scène qui reste impeccable, des habituelles séquences de suspense labellisées « Hitch » (les plans de coupe sur une femme de ménage lors d’une séquence de vol dans un coffre) à une chasse à courre filmée en studio. On louera aussi le sens pictural du réalisateur, du travail sur les couleurs (avec ce rouge récurrent qui suscite une crise phobique chez Marnie) à ce plan sur la rue de Baltimore où vit la mère de Marnie, avec son bateau peint d’une présence étouffante. À sa sortie, Marnie rentra dans ses frais, mais fut loin d’être un grand succès commercial. Il fut accueilli tièdement par la critique (mais c’était souvent le cas des films de Hitchcock à l’époque), à l’exception des Cahiers du Cinéma qui, politique des auteurs oblige, le classèrent en troisième position dans leur Top 10 annuel. Le cinéaste devait ensuite entrer dans une phase de déclin artistique et commercial, avec une série de longs métrages agréables mais mineurs, du Rideau déchiré à Frenzy.
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.