Dans le Joon-ho, tout est Bong
Le 26 juin 2017
Détracteur ingénieux des affres de l’hyperconsommation, dézingueur des multinationales cyniques, Bong Joon-ho signe un conte écolo-vegan dont l’acidité n’a d’égale que la virtuosité technique.
- Réalisateur : Bong Joon-ho
- Acteurs : Jake Gyllenhaal, Tilda Swinton, Byun Hee-bong, Devon Bostick, Lily Collins, Daniel Henshall, Paul Dano, Steven Yeun, Seo-hyun Ahn, Giancarlo Esposito
- Genre : Drame, Science-fiction
- Nationalité : Américain, Sud-coréen
- Distributeur : Netflix
- Durée : 2h00mn
- VOD : Netflix
- Date de sortie : 28 juin 2017
- Festival : Festival de Cannes 2017
Résumé : Durant dix merveilleuses années chez elle dans les montagnes de Corée du Sud, la jeune Mija a accompagné et pris soin de son grand ami Okja, un animal imposant. Mais tout change lorsque la firme multinationale familiale Mirando Corporation s’empare d’Okja et l’emmène à New-York où la P.-D.G. Lucy Mirando, obsédée par son image et par sa promotion, a de grands projets pour l’amie la plus chère de Mija. C’est sans stratégie particulière mais avec une idée précise en tête, que Mija se lance dans une mission de sauvetage. Mais cette aventure déjà intimidante s’avère encore plus compliquée dès lors qu’elle doit faire face à des groupes disparates de capitalistes, manifestants et consommateurs, tous en compétition pour décider du destin d’Okja… alors que Mija ne rêve que d’une chose : ramener son amie à la maison.
Critique : Depuis Memories of Murder et ses raccords impossibles entre séquences pour allégoriser une vision politique fragmentaire en Corée du Sud, Bong Joon-ho n’a cessé de chercher avec une créativité sans cesse renouvelée à déconstruire pouvoirs et faux-semblants. Alors que The Host constituait sur le terrain du fantastique une ample échappée pour aborder la noirceur banale du quotidien, depuis la cellule familiale ébréchée par une société malade et injuste jusqu’à la sphère politique et écologique, Mother reprenait en sourdine les mêmes motifs avec son lot encore d’idiots magnifiques. C’est sans doute au carrefour de ces deux pôles, avec un peu de Transperceneige - Tilda Swinton oblige -, que s’arrime le dernier né Okja. En mêlant l’intime et l’élargissement du cadre, Joon-ho synthétise une fois de plus le geste satirique qu’il reproduit film après film depuis les balbutiements de sa carrière. Pour cette nouvelle collision entre la monstruosité et l’ordinaire de la vie quotidienne, le réalisateur choisit deux protagonistes pas comme les autres : Okja le cochon OGM attachant et Mija, qui rappellent dans leurs interactions sensibles le lyrisme du jeu vidéo "The Last Guardian", de Fumito Ueda, ou du film d’animation Mon Voisin Totoro, de Hayao Miyazaki.
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Le point d’ancrage en passe ici d’un côté par Lucy Mirando, héritière sans scrupule d’un magnat - mais néanmoins convaincue de l’innocence de son projet - tentant de redorer l’image machiavélique de Mirando Corporation, et de l’autre par Mija. Sous couvert d’un storytelling cousu de fil blanc annonçant la découverte d’une nouvelle espèce de cochon au Chili, la communication du groupe dissimule un vaste projet d’élevage intensif de cochons génétiquement modifiés, en réalité créés aux États-Unis. Pour scénariser le dispositif, l’équipe de la multinationale invente un concours factice : quelques fermiers répartis dans le monde entier sont chargés d’élever pendant dix ans l’un de ces animaux transformés ; avant que la créature ne soit soumise à une compétition puis découpée en morceaux dans l’optique de sa vente et de sa consommation. L’un de ces animaux extraordinaires, celui que Mirando Corporation voit déjà comme l’heureux élu du concours, mène une existence paisible aux côtés de Mija, une orpheline vivant dans les montagnes sud-Coréennes avec son grand-père éleveur. Lorsqu’une sorte de gonzo-journaliste de Mirando Corp semblable au Hunter S. Thompson vu par Gilliam mais passé du côté obscur - brillant Jake Gyllenhaal, plus effrayant encore que dans Night Call - fait irruption avec son équipe dans la ferme pour tourner une scène d’émission fallacieuse et embarquer la bête, l’histoire d’Okja s’oriente plus ouvertement vers une déconstruction des dérives du capitalisme. De Séoul à New York, Mija part sur les traces d’Okja, et agit comme un révélateur pointant les politiques nauséabondes d’entreprise, le sort abominable réservé aux animaux d’élevage, la bêtise de certains groupes écologistes, et bien entendu les pouvoirs fermant les yeux face à la corruption et profitant des plus démunis.
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Lors de la recherche d’Okja puis de la poursuite à travers les rues de Séoul, les déambulations de Mija et de la créature donnent l’impression d’assister à un nouveau Gremlins. Les dégâts occasionnés par leurs mouvements sont en effet une manière de mieux dévoiler défauts et imperfections de la société : l’on pense à l’indifférence de la réceptionniste, au selfie de la jeune femme dans la galerie marchande pendant l’échappée, ou encore aux badauds qui ouvrent la porte aux policiers pour qu’ils atteignent leurs poursuivants. Autant de détails infimes que Bong Joon-ho traite avec un soin tout particulier. Schématiquement, deux univers s’opposent dans Okja : la nature verdoyante des montagnes - promesse d’une existence harmonieuse admirablement filmée par Darius Khondji, toujours aussi à l’aise pour mêler solaire et mélancolie -, puis les villes étouffantes peuplées d’êtres souvent aliénés. Pourtant, quelques lignes de démarcation échappent parfois au manichéisme. C’est par exemple le grand-père de Mija qui préfère lui mentir par omission, ou encore le militant écologiste qui profite du rempart de la traduction pour envoyer Okja dans l’enfer des abattoirs Mirando Corporation. Même si Bong Joon-ho avait déjà par le passé développé des brûlots plus frappants que ne le fait Okja, la facilité avec laquelle il s’attarde sur les personnages et les structures d’aliénation qui les enserrent s’avère parfois saisissante.
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Finalement, toute la beauté et la poésie du long-métrage repose sur les liens d’amitié qu’entretiennent Mija et la créature Okja, sorte de cochon géant croisé avec un hippopotame. D’un bout à l’autre du récit, tous les cheminements scénaristiques ne servent d’ailleurs qu’à résorber leur séparation. Il serait facile de reprocher à ce système son débordement de bons sentiments, mais de nouveau Bong Joon-ho met en scène l’échec de nos sociétés modernes déshumanisées en ce qu’elles créent systématiquement une rupture dans les aspirations spontanées du vivant. À l’image d’Okja menaçant d’être taillé en pièces, les sentiments et l’affect ne peuvent dans nos espaces aseptisés et optimisés exister dans la continuité. Symptômes de cette contamination latente, les deux jumelles Mirando ou le Docteur Johnny Wilcox apparaissent eux comme des dégénérés. Constatant des dommages plutôt que cherchant à identifier des remèdes, le cinéaste sud-Coréen plaide néanmoins au bout du compte pour une alimentation végétarienne ou plus raisonnée. Manière d’affirmer qu’il en revient aux consommateurs et donc aux spectateurs de remettre en question certaines de ces dérives. Toute l’intelligence du metteur en scène aura été ici de faire glisser le curseur de la fiction au réel.
– Film présenté en compétition du Festival de Cannes 2017
– Sortie exclusive sur le service de vidéo-streaming, Netflix, à partir du 28 juin 2017
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ceciloule 25 mars 2020
Okja (Cannes 2017) - la critique du film
Comme le disent Les Inrock, ce film donne envie de devenir végétarien... Sans doute légèrement trop manichéen à certains moments, il est vrai. Ce qui est sûr c’est que la première moitié a plus de peps et d’originalité que le reste du film, au rythme un peu inégal et peut-être aussi un peu trop prévisible. (mon avis ici : https://pamolico.wordpress.com/2020/03/25/okja-bong-joon-ho/)