Ninotchka - Ernst Lubitsch - critique

Critique : En 1939, la plus grande star de Hollywood accepte de tourner sous la direction d’Ernst Lubitsch. C’est inédit, "Garbo rit" ! S’il s‘agit là d’une bien médiocre trouvaille de publicitaire (d’ailleurs fausse, comme le prouve par exemple La reine Christine), c’est la première fois que La Divine s’aventure dans le domaine de la comédie pure. Et cela lui réussit.
Il faut dire que Lubitsch et ses comparses se sont appliqués. Le scénario est notamment signé Charles Brackett (Niagara, Sunset Boulevard...) et Billy Wilder (qu’on ne présente plus). Brillant, épaulé par des dialogues aussi drôles que fins, il s’attache à décrire comment une Soviétique coincée et sans humour tombe sous le charme d’un viveur, et du capitalisme. Le choc des cultures, qui donne lieu dans la première partie à de multiples situations amusantes, se double d’une satire politique assez appuyée. Le socialisme est critiqué de manière poussée (on fait allusion aux procès de Moscou, à l’échec du plan quinquennal...) [1]. Cependant, le film n’est pas manichéen, et les Russes blancs sont eux aussi épinglés, de même que le capitalisme, qui corrompt et exploite (voir la dernière image du film).
Lubitsch met toute l’élégance de sa mise en scène au service de ce double propos (comédie sentimentale et satire politique), sans oublier ses habituelles obsessions (le sexe notamment). Il recourt fréquemment au hors champ, et procède régulièrement par allusions. Le spectateur, dont l’imagination est stimulée, ne s’ennuie donc jamais.
Enfin, Lubitsch trouve en Greta Garbo l’interprète idéale du personnage principal. Utilisant à la fois l’image assez glacée de la star, sa raideur naturelle, jouant de ses excentricités et révélant sa fantaisie, il lui offre l’un des meilleurs rôles (et films) de sa carrière. Face à elle, Melvyn Douglas, assez charmant, se sort mieux que bien d’un rôle à la Cary Grant. Le reste de la distribution est tout aussi convaincant et si l’on ajoute que de la photographie aux costumes (stupéfiants, signés Adrian), la MGM s’est à nouveau surpassée, on comprendra qu’on ne peut qu’encourager tout le monde à aller (re)découvrir cette charmante Ninotchka.