Verte lanterne
Le 25 août 2023
On attendait le dernier film de Kelly Reichardt avec impatience. Le résultat ne nous déçoit pas. La réalisatrice nous livre avec Night Moves un thriller poétique et existentiel qui pourrait bien la faire connaître à un plus large public.
- Réalisateur : Kelly Reichardt
- Acteurs : Dakota Fanning, Jesse Eisenberg, Peter Sarsgaard, Alia Shawkat, Katherine Waterston, Logan Miller, James LeGros
- Genre : Drame, Thriller
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Ad Vitam
- Durée : 1h47mn
- Date télé : 2 juillet 2022 22:35
- Chaîne : OCS City
- Titre original : Night Moves
- Date de sortie : 23 avril 2014
- Festival : Festival de Deauville 2013
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Résumé : Josh travaille dans une ferme biologique en Oregon. Au contact des activistes qu’il fréquente, ses convictions écologiques se radicalisent. Déterminé à agir, il s’associe à Dena, une jeune militante, et à Harmon, un homme au passé trouble. Ensemble, ils décident d’exécuter l’opération la plus spectaculaire de leur vie...
Critique : Qu’on aime ou qu’on déteste ses films (Old Joy, Wendy et Lucy, La dernière piste), il faut tout de même admettre que Kelly Reichardt s’est imposée comme une des réalisatrices les plus atypiques du cinéma indépendant américain. En général, ses films sont construits à partir d’une trame narrative tenue. Ce qui compte n’est pas tant la progression dramatique que l’attention portée aux gestes ou situations qui la composent ainsi qu’à la nature lui servant de cadre. On tient là une approche poétique du cinéma qui suspend le temps pour mieux dévoiler la beauté du monde. En même temps au-delà de ces aspects, il y a toujours une éthique qui se dégage. La poésie ici est engagée. On pense au fameux adage de Lao-Tseu : Le but n’est pas seulement le but, mais le chemin qui y conduit. Chez Kelly Reichardt, si le chemin est beau, on n’oublie jamais le but tout en ayant conscience que la bonne voie est loin d’être évidente. Ses personnages sont toujours un peu paumés, ils errent à la recherche d’un sens. Mais qu’ils soient hésitants ou carrément à côté de la plaque, la réalisatrice les filme avec amour, on pourrait presque dire qu’elle donne sens à leur errance par son regard. Ses films sont souvent un peu lents. On ne les conseille pas trop aux amateurs de films d’action. Mais c’est avec impatience que les amateurs de ce type de cinéma attendaient Night Moves, d’autant plus que le film a remporté le grand prix à Deauville en 2013, ce qui est plutôt un bon signe. On peut saluer la pertinence de ce festival qui depuis sa création a toujours su mettre en avant des films de qualité. Les deux derniers vainqueurs étaient Take Shelter (Jeff Nichols) en 2011 et Les bêtes du Sud sauvage (Benh Zeitlin) en 2012, soit deux des meilleurs films américains qu’on ait pu voir ces dernières années.
- © Tipping Point Productions, LLC
On retrouve dans Night Moves la patte de sa réalisatrice. Certes, l’histoire est un peu plus classique que d’habitude. Le film est un thriller, il ménage un suspense, on est curieux de savoir ce qui va arriver aux personnages. De ce point de vue, le métrage pourrait bien séduire un bon nombre d’anciens détracteurs et faire connaître Kelly Reichardt à un plus large public. Mais encore une fois l’essentiel est ailleurs. Le film est formidable pour plusieurs raisons. D’abord on voit rarement la beauté de la nature filmée comme ça. Les paysages de l’Oregon sont magnifiés. La nature est le témoin de l’action mais est aussi l’enjeu du film puisque c’est au nom de leurs idéaux écologiques que les personnages s’engagent dans une radicalité dangereuse. Ensuite, encore une fois, on est vraiment touché par la façon dont chaque action est filmée avec un réalisme qui la transforme en rituel. C’est comme si quelque chose de sacré faisait irruption dans une pratique pouvant sembler anodine et cette irruption peut nous transporter, à condition qu’on soit suffisamment réceptif pour se laisser embarquer. Dans Un condamné à mort s’est échappé (un film à la radicalité janséniste !), Robert Bresson filmait minutieusement des gestes répétitifs qui au final permettaient au prisonnier de s’échapper. C’était une belle métaphore spirituelle magnifiant la rigueur et la patience de l’action quotidienne. On retrouve dans Night Moves cette méticulosité dans la dissection de l’action. Sauf qu’ici l’objectif poursuivi par les protagonistes paraît bien foireux. Peut-être leur erreur vient-elle du fait que peu patients veulent frapper un grand coup ? Ils ne voient que le but et oublient le chemin. En parallèle, on voit les gestes opérés par des travailleurs dans une ferme écologiste : on découvre ainsi comment une bétonnière peut aussi bien servir à fabriquer des explosifs qu’à cultiver des légumes. Dans la ferme, les gens misent sur le temps. Le merveilleux est présent dans la banalité du quotidien et le travail en commun. Kelly Reichardt peut faire surgir l’émotion rien qu’en filmant une salade, c’est fort. La réalisatrice ne prend jamais parti, elle ne juge pas. Mais on sent bien qu’on tient là sa propre vision de la vie. Elle est là son éthique : face à l’avidité et l’impatience, on a toujours la possibilité de miser sur le temps et poser son regard. Ça peut paraître banal mais ce genre de valeur est loin d’être universel.
- © Tipping Point Productions, LLC
Il faut parler des trois acteurs principaux qui sont merveilleux. Jesse Eisenberg (Mark Zuckerberg dans the Social Network) est génial dans le rôle de Josh, un individu renfermé sur lui-même. Il parle peu, se contente d’agir. Il semble avoir du mal à trouver sa place dans le monde, sa fragilité est bouleversante. Dakota Fanning a fait du chemin depuis La guerre des mondes. Dans le rôle de Dena, elle incarne très justement cette phase de transformation, à la lisière de l’enfance et de l’âge adulte. Après sa participation à la saga des Twillight, elle démontre magistralement qu’elle a plus d’une corde à son arc. Peter Sarsgaard est tout aussi excellent que ses deux camarades. Il incarne le personnage le plus expérimenté et aussi le plus inquiétant. On est touché par la solitude des personnages. On aurait presque envie de pleurer. Ils ont beau œuvrer ensemble à un objectif commun, il y a entre eux des barrières infranchissables. Leur action ne fera que renforcer leur isolement respectif. La solitude, c’est sans doute ce qu’il y a de pire dans la condition humaine. On aime les personnages parce que quoi qu’ils fassent, même si c’est horrible, ils restent des humains avec tout ce que cela comporte comme lots de failles, de détresses, et parce qu’ils sont marqués par cette impossibilité de communiquer qu’on ressent tous à un moment ou un autre de sa vie. Night Moves s’impose ainsi comme un grand film poétique, éthique et existentiel.
– Grand Prix au festival de Deauville en 2013
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