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Le 17 septembre 2013
A coups de décors théâtraux, de musiques envoûtantes et de lumières tamisées, Bertolucci réalise avec justesse la mise en scène des retrouvailles. Celle d’Olivia et Lorenzo bien sûr, mais aussi celle d’avec son public.
- Réalisateur : Bernardo Bertolucci
- Acteurs : Jacopo Olmo Antinori, Tea Falco
- Genre : Drame
- Nationalité : Italien
- Durée : 1h37mn
- Titre original : Io e te
- Date de sortie : 18 septembre 2013
- Festival : Festival de Cannes 2012
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A coups de décors théâtraux, de musiques envoûtantes et de lumières tamisées, Bertolucci réalise avec justesse la mise en scène des retrouvailles. Celle d’Olivia et Lorenzo bien sûr, mais aussi celle d’avec son public.
L’argument : Lorenzo, 14 ans, est un jeune homme excentrique qui vit des relations difficiles tant avec ses parents qu’avec ses camarades. Il décide de prendre un peu de recul en se cachant dans la cave inutilisée de son immeuble. Sans que personne ne s’en doute, Lorenzo le futé prévoit de sécher le voyage scolaire au ski afin de s’isoler. Pendant une semaine entière, il va éviter la pression et les conflits et vivre comme un adolescent « normal ». Il prévoit de vivre dans l’isolement total, accompagné de sa musique préférée, de livres et de son élevage de fourmis, parfaite alternative à la télévision. Une visite de sa demi-sœur aînée, Olivia, va bouleverser ses plans.
Notre avis : Presque dix ans qu’il avait déserté les écrans. Prisonnier d’une immobilité forcée, Bernardo Bertolucci avait renoncé à tisser la toile. Jusqu’à la lecture du roman de Niccolò Ammaniti, Moi et toi. Le cinéma ne tient parfois qu’à un fil. Hanté par le poids de l’inertie, le cinéaste prend l’histoire de plein cadre et choisit son angle : celui de l’enfermement. L’idée ? Transformer la claustrophobie en « claustrophilie ». Amoureux des petits espaces, Lorenzo ne rêve que d’une chose, s’enterrer. Aussi quand vient le temps d’aller skier avec sa classe, l’adolescent saisit l’argent au vol et orchestre sa propre disparition...en sous-sol. Dans l’obscurité et la poussière, il file de son intelligence méthodique, le cocon de sa solitude. Dans le couloir, des bruits de pas. Ceux de sa sœur, la fougueuse Olivia. Dès lors, la paix vole en éclats. Avec ce nouveau long-métrage, Bernardo Bertolucci fait ce qu’il sait faire de mieux : filmer la jeunesse. A l’écran, deux débutants, Jacopo Olmo Antinori alias Lorenzo, à l’aube de ses quinze ans et Tea Falco alias Olivia, adolescente sur le déclin. Deux points du segment, écorchés à juste mesure de leur vécu, quadrillant l’espace du poids de leur mal-être. Doté d’un ’’soi grandiose’’, Lorenzo cultive avec narcissisme sa prétendue supériorité. Mutique, cérébral, mystérieux, il taille d’un regard dur les imperfections de la société, fuyant ses semblables, recouvrant de sa musique, la violence de la réalité. A l’inverse, Olivia, sensible, passionnée, entière, croque la vie à pleines dents. Sous la dureté d’un look rétro grunge et l’insolence colérique de sa liberté, elle se fuit elle aussi. A coups d’héroïne plutôt que d’obscurité. Pourtant, face à son frère, elle ne prend pas le large et décide de se désintoxiquer. Si elle réussit à être clean en fin de semaine, un prétendant viendra la chercher.
Véritable révélation, Tea Falco crève l’écran de son intensité. Explosive, elle ne joue pas, elle incarne. De tout son corps, de toute sa douleur et de toutes ses tripes. Et souvent sans cœur. Perdue dans un corps d’adulte sur le point de sombrer, Olivia se débat de toutes ses forces quand Lorenzo s’économise le risque de l’existence. Un attentisme insupportable pour cette aventurière déchue qui ne cesse de pousser son frère dans ses retranchements, moralement et surtout physiquement. Entre l’introverti et l’extravertie, la guerre est déclarée. Dans la cave devenue champ de bataille, deux stratégies s’affrontent : le contrôle et l’abandon. Déboussolé par cette cohabitation, Lorenzo décharge sa colère à coups de meubles déplacés et se retranche dans un coin de la pièce. De sa citadelle, l’adolescent scrute cette sœur qu’il n’a presque jamais connue. Bouche, yeux, front, l’intruse se découpe en gros plan, et peu à peu, semble adoptée. Endormie sur le divan rouge incendiaire, Olivia ondule son corps au laisser-aller. Enjouée ou en manque, elle prend toute la place, viole les frontières et provoque l’ennemi. A cran, les corps se tendent et s’esquivent en un ballet fracassant. Très vite, Olivia s’épuise et rend les armes, vaincue par son addiction. Face à sa faiblesse, Lorenzo délaisse son monde imaginaire au profit du chevet de sa sœur. Peu à peu, leurs gestes s’apprivoisent et s’adoucissent jusqu’à la complicité. Perdu entre rêve et réalité, Io e te conte et recompte l’histoire d’un éternel réveil : celui du cœur. Laissant le passé des personnages dans le flou, Bertolucci épure l’intrigue et fait le point sur le temps présent. Ou plutôt le hors-temps. Étiré en plans fixes dans une vingtaine de mètres carrés, le récit loin de souffrir de l’exiguïté, gagne en fraîcheur et sincérité. Au final, ce qui compte dans Io e te, c’est le rapprochement. Confiné dans l’espace, l’histoire ralentit l’allure et fixe le rythme sur l’épiderme assoupi des habitants.
Lorenzo, solitaire au sang-froid, s’évade dans ses lectures, allongé dans un cercueil d’appoint, la tête à l’envers. L’adolescent se rêve vampire. A l’autre bout de la pièce, sa sœur elle, n’est plus que morte vivante. Bercée à coups de somnifère, Olivia sombre dans un coma thérapeutique. A chacun de ses réveils, Lorenzo revient à la réalité, repoussant les limites de son monde jusqu’à remonter à la surface. De l’autre côté du miroir, la sleeping beauty cuve son manque de poudre, hurlante et tremblotante, son corps échoué sur les rebords de la salle de bains. Magistrale, Tea parvient en un éclair de regard à basculer. Dans la fragilité mélancolique de Lucy (Beauté volée) comme dans l’exubérance délirante d’Isabelle (Les innocents). Esthétiquement, le grain du 35mm ranime le charme du cinéma. Dans le cadre, le visage d’Olivia se déchire entre ombre et lumière. Méduse, femme fatale, artiste insatisfaite et éternelle enfant, Olivia ne cesse de jouer sous les feux du projecteur abat-jour. Autour, une cave baroque surchargée de costumes. Au centre, la scène de l’intimité fraternelle où les lits se sont maintenant accolés. Refugiés sous la couverture, le frère et la sœur affrontent l’onirisme d’une nuit sans fin. Et quand la douleur reprend sa sœur, Lorenzo n’a qu’un réflexe, conjurer le sort de ses propres mains. A l’image, la magie opère. Naufragé dans l’ombre, le corps blessé d’Olivia disparaît. Dans son sommeil, son visage s’illumine. Les sourires se répondent en écho. Scellé d’une danse au son du sublime ’’space oddity’’ de Bowie (version originale et version italienne), l’échappée belle touche à sa fin. Bientôt il faut rallumer à la lumière du jour. Et si la princesse finit par rejoindre son prince, le poison lui, persiste. Tout comme le souvenir de la rencontre. Un huis clos libérant une belle dose de simplicité. Intense, sincère et délicatement fantastique.
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