Hygiène de l’assassin
Le 20 septembre 2023
Des polars de cette trempe, secs, sombres, poignants, rugueux mais aussi lumineux, miraculeux, drôles, absurdes, décomplexés, on en redemande.
- Réalisateur : Bong Joon-ho
- Acteurs : Sang-kyung Kim (Kim Sang-kyung), Byun Hee-bong, Song Kong-ho , Jeon Mi-seon
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters
- Nationalité : Sud-coréen
- Distributeur : CTV Distribution, La Rabia (Reprise)
- Editeur vidéo : TF1 Vidéo
- Durée : 2h10mn
- Reprise: 5 juillet 2017
- Date de sortie : 23 juin 2004
Résumé : En 1986, dans la province de Gyunggi, le corps d’une jeune femme violée puis assassinée est retrouvé dans la campagne. Deux mois plus tard, d’autres crimes similaires ont lieu. Dans un pays qui n’a jamais connu de telles atrocités, la rumeur d’actes commis par un serial killer grandit de jour en jour.Une unité spéciale de la police est ainsi créée dans la région afin de trouver rapidement le coupable. Elle est placée sous les ordres d’un policier local et d’un détective spécialement envoyé de Séoul à sa demande. Devant l’absence de preuves concrètes, les deux hommes sombrent peu à peu dans le doute...
Critique : Il y a suffisamment de matière narrative dans Memories of murder pour alimenter les scénarios d’une dizaine de films. Ne jouons pas plus longtemps la carte du suspense : le second long métrage de Bong Joon-ho est une bombe à retardement qui prend un malin plaisir à malmener les us et coutumes d’un genre balisé. La raison de sa réputation prestigieuse (il fut le grand gagnant du dernier Festival du film policier de Cognac) vient de ses qualités d’épure, de son originalité et surtout de l’aboutissement d’un script complexe, basé sur une histoire vraie, qui mise sur l’intelligence et la perspicacité du spectateur sans faire montre de la moindre manipulation roublarde. En soi, un événement dans un registre où le spectaculaire a parfois tendance à prendre le pas sur la réflexion.
Première scène : dans un lieu agreste, des gamins turbulents s’amusent sur une route déserte et enquiquinent un inspecteur qui part autopsier le cadavre d’une femme violée. En une simple séquence, Bong Joon-ho part de la lumière pour basculer dans les ténèbres. Cette gradation sera constante tout le long d’un film pessimiste, aussi spirituel que triste, qui fluctue entre tragique et grotesque (un peu à la manière des Démons à ma porte de Jiang Wen). En se glissant dans tous les styles avec le même talent (parodie, comédie, satire, horreur, thriller social, suspense...), le réalisateur passe au hachoir tous les poncifs rébarbatifs et dynamite irrespectueusement les codes du polar. Ce mélange d’horizons, ces prises de risques, ces audaces roboratives constituent les points forts d’un scénario qui repose sur une base éprouvée et très solide : trois flics aux méthodes diamétralement opposées qui sont confrontés à un psychopathe pervers dont les assassinats, minutieusement exécutés (voir les scènes d’autopsie), échappent à toute logique rationnelle.
- © 2003 CJ Entertainment, Sidus Pictures. Tous droits réservés.
Résumé ainsi, on serait tenter de réduire le film à un amalgame alléchant de L. A. confidential (pour la psychologie des flics) et de Se7en (pour la traque d’un tueur en série redoutablement intelligent). Oui mais voilà, Memories of murder n’est pas un maelström pâlot qui cherche à rivaliser avec les homologues ricains. Son dessein est de partir de ficelles basiques pour tordre le cou à la prévisibilité et aux trajectoires trop bien tracées. Cette perversion donne lieu à une hybridation rigoureusement dosée : un rythme hollywoodien (pas de contemplation superfétatoire ni d’esthétisation inopportune) greffé sur une sensibilité coréenne très particulière.
- © 2003 CJ Entertainment, Sidus Pictures. Tous droits réservés.
Pendant les deux heures que dure le film, on suit le quotidien de ces flics... en même temps qu’on assiste à leur progressive (et bouleversante) descente aux enfers. Stressés par un supérieur atrabilaire et des journalistes manipulateurs, ils vont mener une enquête nébuleuse sans réussir à conserver leur sang-froid. Ils exploitent toutes les méthodes possibles et inimaginables allant même jusqu’à formuler les hypothèses les plus ridicules (fréquence de passage d’une chanson à la radio, chamanisme...). Incidemment, le réalisateur pointe du doigt un système de garde à vue insoutenable où les flics ont recours à des méthodes tortionnaires pour transformer des esprits faibles en boucs émissaires idéaux. Dans ce grand bain de suspicion où tout le monde est un suspect potentiel, dans cette montée d’adrénaline où les policiers sont triturés par une enquête tumultueuse et des démons intérieurs pesants, Bong Joon-ho met en scène un sublime cauchemar qui sacrifie autant à la gravité dramatique qu’à l’humour le plus surréaliste. Des polars de cette trempe, secs, sombres, poignants, rugueux mais aussi lumineux, miraculeux, drôles, absurdes, décomplexés, on en redemande.
Une chose est sûre : après ce film, les matins ne seront plus jamais calmes en Corée. La dernière demi-heure, émotionnellement intense, est d’une beauté suprême parce que c’est là où les hommes sont confrontés à la réalité nue d’une vie injuste, où l’humanité finit par prendre le pas sur le stoïcisme, où la honte de ne pas avoir pu sauver une fillette vous hante à vous démolir. Et c’est beau. Très beau. A l’aune de ce voile d’ambiguïté opaque qui parcourt l’intrigue. A l’image de ce plan final magnifique sur le visage marqué de l’inspecteur qui n’oubliera jamais ce mystère insondable ; sorte d’écho parfait de la stupéfaction du spectateur en sortant de la salle...
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predator37 13 avril 2007
Memories of Murder - Bong Joon-ho - critique
"Tueurs"
1986, d’horribles meurtres sévicent dans un petit patelin de Corée, la brigade de police locale ainsi qu’un jeune inspecteur spécialement venu de Séoul enquêtent sur l’affaire. Aucun indice, aucun témoin, le tueur opérant son funèstre manège les nuits de pluies ne laisse aucune trace, l’affaire prend de l’ampleur dans un pays qui n’avait alors jamais connu de telles atrocités, réunissant tous les cas sociaux alentours, de l’attardé du village au père de famille obsédé. L’enquête tourne alors vite de l’absurde à l’obsession... C’est avec une force juste et une intelligence de génie que Joon-Ho Bong dénonce l’incapacité de son pays, la Corée de "Memories of murder" est un pays faible, incapable de gérer ses problèmes, seulement d’en créer. Cette affaire de meurtre pour le moins originale (un tueur étouffant ses victimes avec leurs sous-vêtements) est la goutte qui fait déborder le vase : tout ce que le récipient-Corée contenait déborde lamentablement, aussi bien les désastreuses opérations de polices à peine caricaturer que les véritables visages(très soignés) des différents habitants du village. Aussi, comme dans l’excellent "The host", Joon-Ho Bong décrit le rôle des Etats-Unis dans l’organisation coréenne, dans cette histoire, elle est une aide fondamentale voir même un essentielle, ce qui met encore plus en valeur l’impuissance du pays. Le film ne lâche jamais prise, le voyage de "Memories of murder" est aussi excitant et dangereux que la traversée d’un tunnel sombre sur une ligne ferroviaire. Rien à dire sur les acteurs, ils sont tout simplement géniaux, prix spécial à Song Kang Ho, acteur très charismatique que j’apprécie beaucoup surtout depuis l’avoir vu dans "Sympathy for Mr. Vengeance" et bien sur "The host". "Memories of murder" traite avec brio de la façon dont la Corée gère "le problème" , excellent polar mené de mains de maître par un réalisateur intelligent et très prometteur, ce film est un chef d’oeuvre du film noir.