Les morts-vivants
Le 15 mars 2017
Anita Rocha da Silveira signe un beau et tourmenté portrait de l’adolescence, entre la fantaisie pop d’un Araki et les envolées giallesques d’un Bava. Première œuvre ondoyante et envoûtante.


- Réalisateur : Anita Rocha da Silveira
- Acteurs : Valentina Herszage, Dora Freind, Mariana Oliveira, Julia Roliz
- Genre : Drame
- Nationalité : Brésilien, Argentin
- Durée : 01h44mn
- Date de sortie : 15 mars 2017

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Résumé : Une vague de meurtres tourmente une génération d’adolescents esseulée tout autant fascinée par la sexualité que par la mort, les selfies et… Jésus…
Notre avis : Pour son passage au long-métrage, Anita Rocha da Silveira met le cap sur un espace indéterminé : celui de l’adolescence et de ses contours nébuleux. Soucieuse d’illustrer avec méticulosité cette période de l’existence cahoteuse, la Brésilienne élabore une structure dont l’absence de repères nets vaut système. Si les premières minutes nocturnes de Mate-me Por Favor, à la lisière du gothique, nous emportent dans une sorte de giallo aux accents pop, sa propension à sonder dans le même temps la jeunesse le rapproche aussitôt d’un Gregg Araki. Où derrière les néons luisants et les postures décontractées des personnages se cache une indicible tragédie. Mais là encore, même quand le drame de l’adolescence semble thématiquement s’imposer, persiste au détour des horizons arides arpentés par les protagonistes - terrains vagues, barres d’immeubles étouffantes, abribus fantomatiques, routes bondées… - comme l’empreinte d’une critique sociale latente. Par-delà l’errance zombiesque - Romero, en filigrane, n’est pas loin - de Bia, Renata, Mariana et Michele, pourrait ainsi se jouer à l’arrière plan la représentation d’un Brésil vicié, à la manière des films de Kleber Mendonça Filho (Les bruits de Recife, Aquarius…). Pour autant, Mate-me Por Favor ne choisit pas de trajectoire précise et c’est ce qui en fait sa singularité.
- Copyright Wayna Pitch
Ce caractère mouvant, aussi bien esthétique que scénaristique, se fait en un sens l’écho filmé d’une peinture abstraite : un dispositif où revient au spectateur le soin de déceler à loisir de nouveaux motifs. En privilégiant l’esquisse au figuratif, Anita Rocha da Silveira rend plus que tangible le chaos de l’adolescence. Comme dans "Black Hole" (Charles Burns), ses personnages apparaissent tiraillés entre le spectre de la mort, leurs pulsions sexuels, une transcendance et leurs amourettes. La sexualité en tant que malédiction - motif burnsien qu’avait notamment repris It Follows - s’avère à la marge également essentielle, tout comme les lésions (coups, pustules…) sur les visages des jeunes filles. Il serait facile de reprocher à Mate-me Por Favor son maniérisme, mais ce procédé s’apparente sous la caméra d’Anita Rocha da Silveira à un geste critique, à une réappropriation de codes prompte à dessiner une post-Nouvelle vague brésilienne. En résulte une mise en scène bigarrée des plus troublantes, au sein de laquelle le regard s’égare en un monde où le soleil dissimule des ténèbres. Un voyage tantôt inquiétant, tantôt déconcertant, le plus souvent beau comme la nuit.