Le 15 avril 2003
"Avant les livres, il n’y a rien, avant les films, il y a les livres..."
A l’origine de L’amant, il y a l’image. Les photographies, réunies par Jean Mascolo, le fils. Duras vient de vivre une période difficile, ponctuée par l’alcool et une certaine impossibilité à créer. Elle s’intéresse à l’idée d’un livre qui retracerait la jeunesse indochinoise, sous la forme d’un album photographique. L’album ne verra jamais le jour, mais la photo idéalisée de la jeune fille sur le bac donnera naissance à L’amant.
On peut imaginer qu’à l’époque où elle cède les droits du roman à Jean-Jacques Annaud, Duras ne pouvait pas ne pas savoir ce que le réalisateur allait faire de son roman. Et d’ailleurs, au début, elle collabore à l’entreprise. Annaud va réaliser une production hollywoodienne d’un esthétisme très académique, tournée en extérieurs, au Vietnam. Il va entreprendre une mise en images de cette histoire, dans une fidélité absolue au texte, mais au bout du compte, ce qu’il va mettre réellement en scène, c’est la destruction du texte. Ce film, Duras le souhaite sans doute autant qu’elle le redoute, comme fixant à jamais les tenants d’une histoire qui est celle de sa création, de son oeuvre. Dès lors, elle ne peut que renier le film, parce que le renier, c’est refuser cette version définitive figée par l’image, c’est pouvoir encore modifier l’histoire puisque celle du film n’est pas la sienne. La rupture avec Annaud est ainsi le seul moyen pour elle de se réapproprier sa propre vie et d’en poursuivre la mise en fiction, la réécriture. C’est de là que naîtra encore L’amant de la Chine du Nord, le récit du film qu’elle aurait pu faire, celui-là ou un autre.
Lorsqu’elle cède ses droits, Marguerite Duras a déjà dix-sept films à son actif, en tant que réalisatrice, sans compter les scénarios et adaptations. C’est un peu comme si ce livre, venu de l’image, devenait pour elle irreprésentable. L’amant est dédié à Bruno Nuytten, qui sera son directeur de la photographie, comme un autre appel à l’image.
Déjà, en 1960, elle s’engage avec Alain Resnais, sur le scénario de Hiroshima mon amour. Elle exige carte blanche et livre un huis clos terrifiant de violence et de folie, hanté par la présence inoubliable d’Emmanuèle Riva qui vivra d’ailleurs longtemps au-dessus de chez elle, aux Roches Noires. Elle écrira aussi pour Marin Karmitz, Franju, elle inspirera René Clément, Peter Brook, Jules Dassin.
Puis elle passe derrière la caméra, en 1966, avec La musica. Les films vont s’enchaîner, figurations d’un univers intime et secret, qu’elle confie à une poignée d’acteurs qui deviennent partie intégrante de son imaginaire : Delphine Seyrig, Jeanne Moreau, Michaël Lonsdale... L’image devient le seul support, dévorant le texte jusqu’à sa disparition, à moins que le texte ne dévore l’image, comme dans L’homme atlantique qui s’achève en écran noir, filmer l’absence. Les films explorent "les traces", les fragments d’histoire, les ruines, comme les palais dévastés de Son nom de Venise dans Calcutta désert.
"Avant les livres, il n’y a rien, avant les films, il y a les livres", dit-elle, mais la seule représentation acceptable serait celle de l’image inconsciente, irreprésentable, d’avant le livre. Des voix disent des histoires qui auraient pu être, des silhouettes passent, en lisière de la vie, ou déjà mortes, comme Anne-Marie Stretter, dans India Song... Rien ne reste que des lambeaux de ce qui a existé. "C’est une femme comme ça, tous les soirs elle arrête des autos, des camions. Et puis elle raconte sa vie à qui se trouve là. Chaque soir, elle raconte sa vie pour la première fois. Elle est plus ou moins écoutée, mais peu lui importe."
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