Clignotements
Le 21 octobre 2024
Éclats d’émotion et de violence dans la douceur chuchotée d’un noir et blanc incandescent : ce Garrel de 1983 est de toute beauté.


- Réalisateur : Philippe Garrel
- Acteurs : Emmanuelle Riva, Christine Boisson, Mohamed Fellag, Maurice Garrel, László Szabó, Brigitte Sy
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Distributeur : Forum Distribution
- Durée : 1h18mn
- Date de sortie : 3 octobre 1984
- Plus d'informations : http://www.whynotproductions.fr/art...
- Festival : Festival de Cannes 1984

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Résumé : Paris, en pleine guerre d’Algérie. Mariés depuis longtemps, Jean et Mouche sont en train de se séparer . Jean est instituteur ; Mouche fait chez elle des travaux de couture. Sans que l’autre le sache, chacun d’eux est engagé aux côtés du FLN.
Critique : Après quinze ans de cinéma expérimental ayant pris sur la fin (Voyage au jardin des morts, Le bleu des origines) un caractère de trip autiste, Philippe Garrel avait entrebâillé la porte de la fiction et trouvé un nouveau départ avec L’enfant secret (1979) qui, à sa sortie en 1982, avait reçu un accueil critique enthousiaste (Prix Jean Vigo) et rencontré un succès public modeste mais non négligeable.
Le film suivant, Liberté, la nuit, fait même entrer par la grande porte l’Histoire et la politique dans un univers où jusque-là elles semblaient fort lointaines. Bien sûr, il ne faut pas s’attendre à une tentative de reconstitution scrupuleuse de l’époque de la guerre d’Algérie. Quelques détails (objets, vêtements), les noms propres entendus ci et là (de Gaulle, l’OAS, le FLN) et le noir et blanc incandescent de Pascal Laperrousaz suffisent à rendre palpable à l’écran une atmosphère menaçante de guerre civile non déclarée dans les extérieurs filmés dans un Paris de 1983 aux allures fantomatiques.
Les scènes de film noir (rendez-vous secrets dans des entrepôts vides, tueurs de l’OAS attendant leur victime sur un quai désert au crépuscule en devisant tranquillement avant de passer brutalement à l’action) font souvent penser à certains Godard du début (Le petit soldat surtout par la proximité du sujet, mais d’autres aussi), la présence de László Szabó renforçant évidemment cette impression.
Mais la manière Garrel est bien différente : étrange douceur, torpeur même, traversée par des éclats de violence ; ainsi Brigitte Sy, de dos longuement, puis enfin de face, tétanisée au volant de sa voiture après une agression (Ils nous tirent dessus dit Szabó incrédule) ; saisissant effet de clignotement provoqué par les plans extrêmement courts, comme arrachés au néant ou à l’oubli ; interprétation bouleversante mais comme chuchotée, de l’immense Emmanuelle Riva aux côtés d’un Maurice Garrel au calme qu’on sent constamment menacé.
Toute la première partie du film, sidérante de beauté et de charge émotive, est absolument magnifique. La deuxième, centrée sur la relation improbable entre le militant FLN. fatigué et une jeune pied-noire, ne parvient pas toujours à se maintenir au même niveau d’intensité, Christine Boisson, belle et touchante, surjouant la fragilité de son personnage d’oiseau blessé et la gaucherie de certains dialogues donnant par moments un côté apprêté à une poésie qui partout ailleurs est de la plus belle eau.
Liberté, la nuit, qu’une édition DVD bienvenue associe avec La cicatrice intérieure n’en reste pas moins une des pièces maîtresses de l’œuvre de Philippe Garrel.