Le 20 mars 2016
Puisant dans ses expériences personnelles, Léa Fehner livre une oeuvre à la mesure des excès d’une troupe itinérante. Pour le meilleur et pour le pire...
- Réalisateur : Léa Fehner
- Acteurs : Adèle Haenel, Lola Dueñas , Marc Barbé
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français
- Durée : 2h24mn
- Date de sortie : 16 mars 2016
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Dans son deuxième long-métrage, Léa Fehner, forte de son expérience d’enfant de la balle, met en scène une troupe de théâtre itinérant inspirée de l’Agit, la compagnie de ses parents. En ressort une œuvre bâtarde, vivante, dans laquelle joies et peines s’entremêlent outremesure.
L’argument : Le Davaï Théâtre sillonne la France pour interpréter L’Ours de Tchekhov. Si dans cette troupe, la liesse est de rigueur, les tempéraments s’entrechoquent et des dissensions sous-jacentes remontent à la surface. Alors que ce groupe de saltimbanques attend un heureux événement, le retour d’une ancienne comédienne réveillera certaines tensions… qui paveront la voie à de nouvelles crises.
Notre avis : Combien sommes-nous à déplorer la torpeur académique dans lequel sombre le cinéma français - lorsqu’il n’est pas occupé à nous servir, à quelques exceptions près, des comédies aussi ringardes que débilitantes ? Beaucoup trop, sans doute. D’aucuns pourraient croire que la verve du second long-métrage de Léa Fehner s’inscrit à contre-courant de cette tendance. Doit-on encourager l’émergence de telles œuvres ? Assurément. Les Ogres est-il un film irréprochable ? Certainement pas. Et pourtant…
Il serait inconvenant de ne pas évoquer une certaine intelligence de mise en scène, servant à chaque instant un propos plein de fougue et d’opulence. La cinéaste, retranscrivant toute la passion de la troupe dirigée par ses parents, installe le spectateur dans un cadre aussi chaotique que personnel. Pour souligner l’énergie qui circule dans les coulisses de la pièce qu’interprètent les comédiens, Léa Fehner opte pour l’emploi de longs plans en caméra portée, capturant les mouvements des personnages, s’attardant tantôt sur les uns, tantôt sur les autres… avant de rattraper des déplacements qui s’amorcent quasi-systématiquement hors du champ. Ce dynamisme est tempéré, dans d’autres scènes (censées être) bouleversantes, par l’utilisation de longs (très longs) plans fixes exacerbant la moindre émotion visible sur le visage des acteurs… Le tout étant articulé par des coupes franches, anti-transitoires, dont l’effet de choc ostensible rompt avec l’intimisme initial de l’œuvre et renvoie le spectateur à son statut. Les Ogres est un film excessif, et si le long-métrage reste pétri de bonnes intentions, il pâtit des tares infligées par sa forme : certains pourraient, à raison, regretter l’extrême minutie de quelques séquences (la longueur des plans susmentionnés ne laissant qu’une place infime à l’improvisation), alors que ces dernières, a contrario, visent à magnifier le souffle de liberté qui transporte la troupe Davaï. Du reste, les fragments de l’œuvre mêlant malaise et pathos souffrent du recours à des effets de mise en scène ostentatoires, voués à générer une iconographie presque dionysiaque qui ne fait qu’éloigner le film de tout effort d’authenticité. Mais était-il envisageable de réaliser le film autrement ? Rien n’est moins sûr. Léa Fehner traite de gens bruyants, extraordinairement francs, impulsifs, immodérés, un brin narcissiques et empreints d’une folie les menant à l’orée de l’autodestruction. Ces différents caractères constituent un sujet délicat, tant les êtres qui les portent s’avèrent aussi émouvants qu’agaçants, voire, à quelques occasions, franchement détestables. Les Ogres n’est excessif que parce qu’il colle à la peau de personnages outranciers - qui n’en demeurent pas moins des artistes livrant une interprétation ardente d’une farce de Tchekhov… Et la mise en scène de saisir, in fine, la dichotomie entre ces ogres, marginaux dont l’extrême sensitivité les rend inaptes à toute intégration sociale, et ces comédiens aussi talentueux qu’enflammés, qui laissent un souvenir prégnant chez ceux qui assistent à leur représentation. Si le procédé peut, par moments, irriter le spectateur, il convient de souligner sa perspicacité.
Seulement… Etait-il vraiment nécessaire d’exposer les maux des membres de la troupe pendant près de 2h30 ? Léa Fehner et ses coscénaristes, Catherine Paillé et Brigitte Sy, multiplient les sous-intrigues : du spectre de l’adultère au difficile deuil d’un enfant, en passant par la grossesse de l’une des actrices, les thématiques abordées sont légion - bien qu’elles ne visent, au bout du compte, qu’à accentuer tantôt les fractures, tantôt la cohésion des saltimbanques. Encore une fois, le film sombre dans le puits de la démesure, et cette kyrielle de sujets voit sa force s’amenuiser à mesure que l’œuvre approche de son terme, jusqu’à trouver des dénouements aussi précipités qu’artificiels. Restent un enthousiasme, un rythme… une direction artistique notable, traduisant à merveille le quotidien rabelaisien des personnages, et des prestations appréciables, les rôles étant aussi bien interprétés (et presque en osmose) par les véritables membres de la troupe (les parents de Léa Fehner en tête) que par des acteurs de cinéma confirmés.
Adèle Haenel emploie souvent la métaphore du banquet d’Astérix pour parler des Ogres, comment lui donner tort ? On ressort de ce festin émotionnel repu, mais aussi épuisé, voire légèrement nauséeux. Les aficionados de l’épure stylistique passeront leur chemin, les autres s’émerveilleront peut-être.
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