Amour et preuves d’amour
Le 18 juillet 2018
Adaptée de Diderot, dialoguée par Cocteau, cette histoire de vengeance est un sommet de l’art dépouillé de Bresson, porté par l’interprétation grandiose de Maria Casarès.
- Réalisateur : Robert Bresson
- Acteurs : Nicole Régnault, Élina Labourdette, Yvette Étievant, Maria Casarès, Jean Marchat, Lucienne Bogaert, Marguerite de Morlaye, Paul Bernard
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Acacias, Consortium du Film
- Editeur vidéo : BFI Video
- Durée : 1h30mn
- Reprise: 1er août 2018
- Date de sortie : 21 septembre 1945
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Résumé : Hélène et Jean, deux grands mondains, sont amants depuis deux ans. Un soir, Hélène apprend de son ami et confident Jacques que Jean ne l’aime plus. Blessée, elle décide de rompre la première et jure de se venger. Elle reprend contact avec deux anciennes connaissances, Madame D. et sa fille Agnès, danseuse de cabaret, qui vit de la complaisance de ses amants. Hélène les tire de cette mauvaise passe, les loge et s’arrange pour que Jean tombe amoureux d’Agnès…
- (T) 1945 TF1 Droits Audiovisuels
Critique : Tourné en fin d’Occupation, Les dames du bois de Boulogne est le second long métrage de Robert Bresson, après Les anges du péché. C’est aussi son dernier réalisé dans le cadre d’un cinéma traditionnel même si le film, d’une beauté hautaine, annonce l’esthétique radicale de l’auteur de Pickpocket. Librement adapté de Jacques le fataliste et son maître de Diderot, le récit est transposé à l’époque contemporaine, encore que certains éléments des costumes (les robes longues d’Agnès) ou des dialogues (un phrasé littéraire écrit par Jean Cocteau) confèrent à l’œuvre une intemporalité. De la forme normative du cinéma de son époque, Bresson retient en premier lieu une narration linéaire, une musique discrète mais au thème récurrent ou bien encore des images élaborées qui éclairent la dramaturgie, et que l’on doit au grand chef-opérateur Philippe Agostini. Le casting est lui aussi fidèle aux standards des productions de l’époque, avec toutefois des innovations dans le jeu des comédiens. Après Renée Faure dans Les anges du péché, c’est au tour de Maria Casarès, elle aussi jeune actrice de théâtre, d’être propulsée en tête d’affiche. Pour cette composition de femme blessée tissant sa toile de la vengeance, Bresson avait exigé d’elle une totale sobriété de jeu, contrôlant sa diction et ses moindres expressions de visage, la harcelant au point de susciter une haine en elle... Ce sentiment rejaillit sur le personnage d’Agnès dont la rage contenue est admirablement rendue à l’écran. Stupéfiante Maria Casarès, réussissant en fin de compte une interprétation légendaire, son léger accent espagnol accentuant encore sa performance décalée.
- (T) 1945 TF1 Droits Audiovisuels
À ses côtés, Paul Bernard paraît un peu fade et compassé mais l’autre choix judicieux de distribution est Elina Labourdette, d’une grâce et d’une subtilité indéniables dans le rôle de cette ex-entraîneuse stigmatisée par son passé. La mère maquerelle mais bienveillante est incarnée par Lucienne Bogaert, jusqu’alors connue pour avoir travaillé avec Jouvet à la scène, s’exprimant dans le film (avec talent) d’une voix blanche et presque atonale. Ces précisions sur les acteurs révèlent que Les dames... est bien un film de transition, avant que Bresson ne décide définitivement de recourir à des « modèles » non professionnels. La mise en scène, précise et limpide, sert admirablement le scénario, et une atmosphère de tragédie cinématographique se substitue dès l’ouverture du film à ce qui aurait pu être une histoire à l’eau de rose. « Il n’y a pas d’amour, Hélène, il n’y a que des preuves d’amour », fait dire le poète à l’ami confident (Jean Marchat). Le « suspense » psychologique des Dames du bois de Boulogne nous fait ensuite naviguer dans les profondeurs sombres de l’âme humaine, la machination d’Hélène s’apparentant à la préparation d’un crime parfait passionnel. D’une modernité confondante pour l’époque, le film culmine dans son dernier quart d’heure avec un audacieux mouvement de caméra révélant à deux reprises le visage de la vengeresse, suivi d’une scène de quasi-résurrection à tonalité mystique... Sorti dans l’indifférence générale à la Libération, ce film en avance sur son temps et longtemps incompris confirme aussi la vitalité et la créativité du cinéma français à une des périodes pourtant les plus sombres de l’Histoire...
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