Parole, parole...
Le 7 août 2023
Le premier "grand" long métrage de Robert Bresson, et une admirable mise en scène de la parole.
- Réalisateur : Robert Bresson
- Acteurs : Mila Parély, Renée Faure, Jany Holt, Sylvie, Louis Seigner, Silvia Monfort, Marie-Hélène Dasté, Paula Dehelly
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Films Roger Richebé
- Durée : 1h37mn
- Date télé : 18 mars 2024 20:35
- Chaîne : KTO
- Reprise: 22 novembre 2006
- Date de sortie : 23 juin 1943
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Résumé : Le couvent des Dominicaines de Béthanie met ses religieuses au service des femmes enfermées dans les prisons. Pour la plupart, les Dominicaines sont elles-mêmes des repenties et "réhabilitées". Anne-Marie (Renée Faure), une jeune femme issue de la haute société, choisit le couvent pour entrer en religion. Elle remarque lors d’une visite en prison Thérèse, une détenue révoltée (Jany Holt). Mais Thérèse refuse de rejoindre le couvent. Elle s’y réfugie pourtant, après sa libération, lorsqu’elle s’est vengée de son amant en l’assassinant. Thérèse devient la protégée de sœur Anne-Marie, mais sa vocation et sa foi sont douteuses. L’exaltation d’Anne-Marie fait d’elle une insoumise aux yeux des Dominicaines.
Critique : Second film de Robert Bresson (après Les affaires publiques, en 1934), Les Anges du péché est considéré comme son premier "grand" long métrage. Produit par Gaston Gallimard et tourné au printemps 1943, en pleine Occupation, il sortira sur les écrans deux ans avant Les dames du Bois de Boulogne. Alors que Guitry l’adoube en des termes sans doute... opportuns pour l’époque ("Ah ! comme il est français ce film - or donc, qu’il soit le bienvenu"), le cinéaste, secondé dans l’écriture de son scénario par l’écrivain Jean Giraudoux, fait en toute discrétion une première œuvre irréductible, déjà. Irréductible aux accidents de l’Histoire (rien n’évoque ceux que traverse la "civilisation française" chère à Guitry en 43) et aux décors choisis (la même histoire aura lieu hors les murs du couvent, dans les films à venir de Bresson). Les anges du péché est une œuvre stylisée, et riche de cette complexité unique qui fera tous les films de Bresson. Tous les thèmes du cinéaste sont présents, unifiés en une écriture rigoureuse d’où sont exclues les réponses hâtives et les figures trop simples. Rien ne s’explique moins facilement qu’un film de Bresson : cette première œuvre le démontre déjà.
Il y aura donc la Foi, la Parole, la Révélation. Il y aura la Faute, la Révolte, le Choix, la Justice et la Rédemption. Or si le cadre d’un couvent, celui de la congrégation de Béthanie, et ces qualificatifs en majuscules ont certes leur importance, ces qualités bressoniennes semblent n’être qu’incidentes, rétrospectivement. Robert Bresson dès son second long métrage a son style - personnages et situations. Ils ne changeront guère : le cinéaste, tout juste rentré de captivité, déclinera son obsession de l’emprisonnement, de film en film. Prison dont il faut voir la trace jusque dans l’individu et ses actes, et dans l’obsession de sa libération.
Au-delà de la très grande qualité visuelle et scénaristique des Anges du péché, qui s’offre, au tout début, une incursion dans le film noir (la fuite organisée de la ténébreuse Thérèse), au-delà du style très abouti qu’il nous révèle, Les Anges du péché est une admirable mise en scène de la Parole. Le film organise son développement autour d’une mise en cause systématique et obsédante de la parole qui s’échange. Le couvent de Béthanie, c’est évidemment le lieu de la parole immanente, celle de la vérité infaillible de Dieu. Mais en l’absence de ce metteur en scène suprême et dans le silence assourdissant qui Le manifeste, la place est laissée libre à toutes les paroles - le cinéma tâchant d’orchestrer l’entrelacs subtil et chromatique de leurs tractations et motivations, cachées ou formulées. Le Bien et le Mal auront bien sûr leur mot à dire, mais plus encore le rôle dont les règles de la vie sociale (la prison) et monacale (le couvent) ont affublé chacune des femmes qui s’expriment ici-bas. Or Thérèse et Anne-Marie, chacune à leur manière, utilisent leur parole - leur Foi, leur Vérité, leur choix - pour perturber l’ordre des choses. "N’obéis pas à mes ordres, obéis à mes silences", dit Thérèse d’Avila dans une des sentences délivrées lors d’un rituel : beaucoup de paroles sont ainsi échangées qui prétendent impliquer les destins de sœur Anne-Marie et de sœur Thérèse, l’une et l’autre liées par la responsabilité d’une parole que tantôt elles renient tantôt elles refusent. Dès lors la révolte est possible et permise, dont l’humain et le divin seront les témoins gênés - la "libération", en somme, n’était pas prévue au programme des religions, pas plus qu’une histoire d’amour, humain et divin confondus. "Il vous aurait fallu quelqu’un qui ne parle pas", dit Anne-Marie à Thérèse : et c’est précisément quand elle ne peut plus parler que la mort vient enfin sanctifier le lien entre les deux femmes que tout sépare - c’est-à-dire que tout rapproche.
Même si l’intention documentaire du film, que Bresson a réalisé avec l’aide d’un membre de la Congrégation, est indiscutable, on observe, rétrospectivement, que toutes les questions qu’abritent ces murs, ces rituels, ces ornements de langage et de prière seront en définitive les mêmes hors les murs. Elles sont celles, admirablement mises en scène déjà, d’une œuvre immense en devenir.
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