Le 28 septembre 2020
Une fiction intelligente et salutaire autour du procès de Francfort qui, en 1963, fut le premier à juger des Allemands complices d’activités criminelles au camp d’Auschwitz.
- Réalisateur : Giulio Ricciarelli
- Acteurs : Alexander Fehling, Gert Voss, André Szymanski
- Genre : Drame
- Nationalité : Allemand
- Distributeur : Dulac Distribution
- Durée : 2h03min
- Date télé : 29 septembre 2020 13:35
- Chaîne : Arte
- Date de sortie : 29 avril 2015
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Résumé : Allemagne 1958 : un jeune procureur découvre des pièces essentielles permettant l’ouverture d’un procès contre d’anciens SS ayant servi à Auschwitz.
Mais il doit faire face à de nombreuses hostilités dans cette Allemagne d’après-guerre. Déterminé, il fera tout pour que les Allemands ne fuient pas leur passé.
Critique : Francfort 1958. Des adolescents sortent bruyamment et joyeusement de leurs salles de cours, un groupe de professeurs les surveille dans la cour de récréation. L’un d’eux se détache pour aller allumer la cigarette d’un homme qui passe devant les grilles du lycée. L’homme est stupéfait, il reconnaît en effet un des tortionnaires du camp d’Auschwitz où il a été enfermé quinze ans auparavant. Ce sont les images, avant le générique, qui ouvrent Le labyrinthe du silence, premier long métrage du cinéaste italo-allemand Giulio Ricciarelli, qui a bâti un scénario historiquement rigoureux à partir du premier procès allemand sur les criminels du camp d’Auschwitz – il s’est tenu à Francfort entre octobre 1963 et août 1965, après cinq années d’enquêtes.
En s’appuyant sur deux personnages clés, le procureur général Fritz Bauer, sans qui ce procès n’aurait sans doute jamais eu lieu, et le journaliste Thomas Gnielka, Giulio Ricciarelli a pris comme personnage principal un héros purement fictif, le jeune procureur Johann Radmann. L’instruction réelle avait été en effet menée, outre Fritz Bauer, par trois procureurs (dont l’un, Gerhard Wiese, a assisté au tournage du film), qui l’ont secondé.
Johann Radmann, fougueux et séduisant magistrat, se morfond à conduire des affaires de petite importance. Aussi le dossier « Auschwitz » arrive-t-il, pour lui, à point nommé. Cet homme de loi, genre jeune loup, est un humaniste avec des valeurs morales fortes chevillées au corps. Il fonce dans sa mission en faisant parler les archives – et certain que ce qu’il défend est juste. Il est vite surnommé le « shérif » par ses collègues, dont certains se moquent ouvertement de ses méthodes un peu brutales, ou même les réprouvent, et de sa stupéfiante détermination. Radmann ne voit dans cette Allemagne des années 1960 que des nazis ou des enfants de nazis. Des enfants qui, de plus, ignorent ou feignent d’ignorer l’existence même des camps d’extermination. De fait, le jeune procureur découvre que le nom d’Auschwitz n’évoque d’ailleurs rien pour cette jeunesse insouciante ou amnésique. Radmann est en outre, comme son chef Fritz Bauer, opposé aux souhaits du chancelier Konrad Adenauer de « tourner la page ». L’un de ses collègues lui demande à ce sujet : « Est-ce vraiment utile que tous les jeunes Allemands se demandent si leur père était un meurtrier pendant la guerre ? » Dans sa traque des nazis, Radmann a aussi tendance à trop rechercher les « gros poissons » comme Josef Mengele, le monstrueux médecin du camp d’extermination d’Auschwitz, qui, à la barbe ou avec la complicité des autorités allemandes, fait un court séjour en Allemagne lors du décès de son père. L’ambitieux procureur déplore aussi qu’Eichmann ait été jugé en Israël plutôt qu’a Francfort. Après de multiples péripéties, Radmann sera amené à admettre que ce n’est pas à lui de juger autrui. Et il doit retrouver un peu d’humilité pour atteindre ses objectifs.
- © Sophie Dulac
Le principal mérite du Labyrinthe du silence est de questionner intelligemment la responsabilité individuelle. Jusqu’où l’obligation de respecter les ordres peut-elle aller ? Est-il possible de faire abstraction de sa propre conscience ? Fritz Bauer répondait à cette question par : « personne n’a le droit d’être obéissant. » Il fallait aussi pour lui que l’Allemagne assume absolument son passé plutôt que de le tenir à distance.
Giulio Ricciarelli a conçu un film efficace et pédagogique pour nous convaincre de son propos (notons que le site Zéro de conduite et le réseau Canopé proposent un dossier en ligne sur le film, pour les classes d’histoire et d’allemand de lycée). Il a donc privilégié une facture classique, voire académique, tout en donnant à son récit un ton et un rythme de thriller sobre et captivant. On appréciera les cadrages soignés d’images souvent très belles, mais aussi les scènes particulièrement émouvantes des auditions des victimes, avec pour seul fond sonore des musiques d’opéra.
Comme il fallait bien donner consistance et un peu de piment à son héros, superbement campé par Alexander Fehling, Giulio Ricciarelli lui invente une histoire d’amour, certes un peu gentillette, et un passage par l’alcoolisme, quand il se met à craquer de ne pas aboutir à ses fins… Le cinéaste a particulièrement réussi le personnage, excellemment joué par Gert Voss, de Fritz Bauer, ce juif allemand social-démocrate qui a dû s’exiler en Suède après son arrestation en Allemagne en 1933 et qui, revenu en Allemagne, a souhaité, pour la mémoire des victimes, mener à bien sa mission malgré toutes les embûches qui lui furent tendues. Fritz Bauer : un juste parmi les justes.
- © Sophie Dulac
Le film s’achève par la fin de l’instruction et l’ouverture du procès, considéré par les historiens comme « décisif dans l’histoire de la mémoire du nazisme en Allemagne » (Guillaume Mouralis). Ainsi que le mentionne le générique de fin, ce procès eut 183 jours d’audience et a rassemblé 360 témoins venus de 19 pays différents, dont 211 survivants d’Auschwitz. Seulement 22 accusés ont comparu, sur les 6 500 individus qui encadraient le sinistre camp. Six ont été condamnés à vie, les autres à des peines limitées – et même trois acquittés faute de preuve. Des peines plutôt clémentes… Aucun accusé n’a montré le moindre signe de remords…
On ne peut s’empêcher de relier ce procès (et le film) et celui – sans doute le dernier devant aboutir à la condamnation d’un nazi – qui se tient actuellement à Lunebourg, en Allemagne : Oskar Gröning, 93 ans, sergent SS bureaucrate à Auschwitz (il était chargé de trier, compter, envoyer à Berlin l’argent des arrivants), est accusé de complicité dans 300 000 morts. Reconnaissant les horreurs du camp d’extermination, Gröning nie seulement son implication dans ces meurtres. Il se considère comme un « simple rouage dans la machine d’extermination »… Où l’on revient bien au propos principal de ce film salutaire qu’est Le labyrinthe du silence.
© Sophie Dulac
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