La première pierre
Le 1er janvier 2024
Si Peter Jackson a laissé au seul semi-homme qui n’attendait pas ce voyage le soin de nous délivrer du mal, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que le bienfaiteur de Wellington a tout mis en œuvre pour que sa volonté soit (bien) faite sur la Terre du Milieu.
- Réalisateur : Peter Jackson
- Acteurs : James Nesbitt, Cate Blanchett, Ian McKellen, Hugo Weaving, Martin Freeman, Richard Armitage, Ken Stott, Graham McTavish
- Genre : Aventures, Fantastique, Heroic fantasy
- Nationalité : Américain, Néo-zélandais
- Distributeur : Warner Bros. France
- Durée : 2h45mn
- Date télé : 17 septembre 2024 21:05
- Chaîne : TFX
- Titre original : The Hobbit: an Unexpected Journey
- Date de sortie : 12 décembre 2012
- Voir le dossier : La saga "Le Seigneur des anneaux" & " Le Hobbit"
Résumé : Bilbon Sacquet cherche à reprendre le Royaume perdu des Nains d’Erebor, conquis par le redoutable dragon Smaug. Alors qu’il croise par hasard la route du magicien Gandalf le Gris, Bilbon rejoint une bande de treize nains dont le chef n’est autre que le légendaire guerrier Thorin Écu-de-Chêne. Leur périple les conduit au cœur du Pays Sauvage, où ils devront affronter des Gobelins, des Orques, des Ouargues meurtriers, des Araignées géantes, des Métamorphes et des Sorciers… Bien qu’ils se destinent à mettre le cap sur l’Est et les terres désertiques du Mont Solitaire, ils doivent d’abord échapper aux tunnels des Gobelins, où Bilbon rencontre la créature qui changera à jamais le cours de sa vie : Gollum. C’est là qu’avec Gollum, sur les rives d’un lac souterrain, le modeste Bilbon Sacquet non seulement se surprend à faire preuve d’un courage et d’une intelligence inattendus, mais parvient à mettre la main sur le "précieux" anneau de Gollum qui recèle des pouvoirs cachés… Ce simple anneau d’or est lié au sort de la Terre du Milieu, sans que Bilbon s’en doute encore…
Critique : En s’attaquant à Bilbo le Hobbit, les Jackson Four du scénario fantastique (Fran Walsh, Philippa Boyens, Peter J et Guillermo del Toro) ne se sont pas donné pour unique mission sacrée d’incarner ce qui est et restera, aux yeux des fanatiques de la Communauté de l’Anneau, comme l’Ancien Testament de Tolkien, mais également de réaliser la prélogie en substance d’une saga devenue institution culturelle. No offense, George L, mais la seule menace fantôme digne de ce nom sortira le 12 décembre 2012, tant ce Hobbit s’attache, et réussit avec brio, à préserver la sève du livre premier, tout en semant les sombres graines de ce qui sera le Seigneur des anneaux. Ou comment faire pousser un film sous un autre film, sans menacer le second.
« L’histoire se répète toujours deux fois : la première fois comme une tragédie et la deuxième comme farce. » disait Karl Marx en vannant Napoléon III, et sans savoir que parfois, la formule est réversible. Dans le cas du Hobbit, l’histoire se répète donc à l’envers. Œuvre jumelle du Seigneur des Anneaux dans sa structure, le premier livre de JRR est aussi plus drôle, plus naïf (parce que pensé pour les enfants) et plus dérisoire que les grands travaux à venir. A bien des égards, la scène d’exposition originale (qui vient ici dans un second temps) a même tout d’une pièce de fantasy-boulevardière, faite de quiproquos à huis clos (le Cul-de-Sac de Bilbo), de nains boulimiques et pétomanes, ou encore de punchlines balancées par un Gandalf qui associe golf et décapitation d’orques sans se démonter (celle-ci est dans le roman). Un peu plus loin, Saroumane accuse même Radagast le brun – mage cinglé des sous-bois et du guano – de forcer un peu sur les champignons stupéfiants, avant de faire ses rapports. Pour autant, si cet esprit se prolonge dans le film, et qu’on préférerait tous descendre une pinte avec Bilbo plutôt que de dîner avec Frodon, il nous faut relativiser les mots de Karl le rouge. The Hobbit n’est pas une farce intégrale, et la Terre du Milieu n’a finalement rien d’une scène de stand-up. En décidant de filmer ce qui restait hors cadre dans le roman (les conciliabules entre nains errants, les inquiétudes de Gandalf sur le chaos frémissant), d’insister sur le sacerdoce de Thorin, roi sans terre et lointain cousin scénaristique d’Aragorn, et en s’appuyant sur des bad guys fantastiques à plus d’un titre (comme l’orque manchot, préfiguration des gigantesques Uruk-Haï), le récit ne fait que souligner ce que la mise en scène suggère brillamment à tous les coins de plan : le drame gronde sous les hyper-pieds du Hobbit, et la noirceur de la première trilogie infuse la première pierre de la nouvelle avec une constance à faire frissonner un mort. Ou un nécromancien.
Cette double lecture, qui joue sur les attentes des spectateurs informés, ou accompagne simplement l’analyse des adultes revisitant un parcours qu’ils ont balisé enfants, ne se fait pourtant pas au détriment de l’esprit de scout illuminé qui ronge joyeusement le baptême littéraire de l’oncle Tolkien. Le monde est là, dehors, et il n’attend que vous pour se délester de ses promesses ou de ses menaces. Pourtant, on pensait avoir tout vu de la Terre du Milieu, sans imaginer que le tandem Peter Jackson/Weta Workshop avait encore plus d’un tour dans la rétine. De l’ouverture sous la montagne d’Erebor, bastion des nains, au monstrueux enchaînement de morceaux de bravoure qui mèneront la compagnie à la lisière de Mirkwoord (la forêt infestée), The Hobbit profite d’une 3D privilégiant la profondeur au tapage (et nous n’avons pas vu le film en imax HFR), pour vous aimanter durablement au cadre. Le temps ayant bien fait son œuvre, les effets CGI de la chose surclassent logiquement ceux des trois opus fondateurs, offrant aux caméras à tête chercheuse de Jackson la possibilité de plonger ou de contre-plonger dans les mines naines et les galeries orques, de poursuivre le traîneau supersonique de Radagast ou d’accompagner la cavalcade des ouargues, sans que l’on ne doute jamais de la tangibilité de lieux et de monstres dont le design brillant, soit dit en passant, profite certainement de l’influence de del Toro, en sus de l’expérience des conseillers originaux (John Howe et Alan Lee), les seuls capables de décalquer le monde de Tolkien avec une évidence brise-mâchoire, qui se substitue, sans coup férir, à votre propre vision des choses. Et si l’on ajoute à tout ça une réalisation minutieuse, qui ne se perd jamais dans le grandiose, mais multiplie au contraire les mouvements inspirés, les découpages merveilleux de lisibilité et les trouvailles-frissons (ah… ce dragon de papier qui fait irruption dans le cadre, au-dessus de Dale, ces jeux de perspective qui changent Gollum le monstre paumé en goule cannibale…), vous obtenez un bijou dont on ne mesurait peut-être pas jusqu’alors le degré de pureté.
Ce que l’on mesurait plutôt mieux, et à raison, c’est le talent de fiction de PJ et ses fantasy junkies, capables de multiplier les arcs narratifs sans jamais sacrifier la cohérence du tout, et en prenant bien garde de ne pas marcher sur un fil en cherchant à étoffer le suivant. Amoureux de Tolkien, les hauts couturiers du Hobbit préservent le roman d’apprentissage initial (en montrant au passage à quel point Bilbo est un héros aux forceps, tiré de son trou par l’orgueil, là ou Frodon n’avait pas eu le choix), mais se permettent également de nourrir un peu la résonance entre la quête des nains, qui ont le courage mais pas le reste, celle de Sacquet le faux-couard en devenir, et la fragilité d’un Gandalf quasiment infaillible dans le roman, qui ne sait pas encore, ici, après quoi il court. Ajoutons au passage que la réunion du G4 des forces du bien à Rivendell prouve à quel point la première trilogie a su faire de ses personnages de véritables icônes, au même titre désormais que Thorin, travaillé en profondeur, qui concentre à lui seul une grande partie de la puissance émotionnelle de cette machine à créer de l’universel qu’est le team Jackson. Mais n’en disons pas plus, si The Hobbit est un chef-d’œuvre du déracinement, il s’apprête pourtant à faire sa chose de votre imaginaire. Faites lui donc un peu de place et, surtout, n’écoutez pas les fâcheux qui confondent mythes à cœur ouvert et mièvreries poisseuses.
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Frédéric Mignard 6 décembre 2012
Le Hobbit : un voyage inattendu - Peter Jackson - critique
Un chapitre musclé, riche en rebondissements, en créatures mythiques. Les effets spéciaux sont énormes, reste toute de même l’impression qu’on devrait laisser toutes ces vielles histoires au passé et apprendre à créer de nouvelles mythologies...
Pierre Vedral 16 décembre 2012
Le Hobbit : un voyage inattendu - Peter Jackson - critique
La magie Peter Jackson continue d’opérer, vivement la suite, on en redemande !