This is England
Le 17 décembre 2013
Beau et dur, le premier film de Clio Barnard jette une lumière neuve sur l’Angleterre des marginaux.
- Réalisateur : Clio Barnard
- Acteurs : Conner Chapman, Shaun Thomas, Sean Gilder
- Genre : Drame
- Nationalité : Britannique
- Durée : 1h31mn
- Titre original : The Selfish Giant
- Date de sortie : 18 décembre 2013
- Festival : Festival de Cannes 2013
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Beau et dur, le premier film de Clio Barnard jette une lumière neuve sur l’Angleterre des marginaux.
L’argument : Arbor, 13 ans, et son meilleur ami Swifty habitent un quartier populaire de Bradford, au Nord de l’Angleterre. Renvoyés de l’école, les deux adolescents rencontrent Kitten, un ferrailleur du coin. Ils commencent à travailler pour lui, collectant toutes sortes de métaux usagés. Kitten organise de temps à autre des courses de chevaux clandestines. Swifty éprouve une grande tendresse pour les chevaux et a un véritable don pour les diriger, ce qui n’échappe pas au ferrailleur. Arbor, en guerre contre la terre entière, se dispute les faveurs de Kitten, en lui rapportant toujours plus de métaux, au risque de se mettre en danger. L’amitié des deux garçons saura-t-elle résister au Géant Égoïste ?
Notre avis : Avant tout chose, ne croyez pas tout ce que cherche à vous dire un résumé officiel. Si Kitten, le ferrailleur salaud, pourrait bien être l’une des quelques clés dispensées par Clio Barnard pour nous aider à percer le mystère de son titre, il n’est certainement pas l’incarnation du géant égoïste, ou en tout cas pas la seule. Film naturaliste aux arômes grands-bretons, cette adaptation d’une nouvelle de Wilde joue sur la récurrence de ses motifs ou le poids de sa métaphore pour accompagner le spectateur dans la quête de son propre sens, et porter à bout d’allégorie – bien au-dessus d’un environnement pourtant pesant - l’universalité de sa fable. Clé sans serrure censée combler les trous savamment creusés de son texte, le géant égoïste pourrait tout aussi bien désigner un système social vicié, une des centrales électriques au pied de laquelle se jouent les scènes-clés du film, l’ogre christique Swifty vu par Arbor, ou même Arbor lui-même, gnome volcanique grossi par ses torrents d’énergie noire. Bref, le premier long de l’anglaise au prénom automobile - alimenté par une narration simple mais un monde d’interprétations - est l’heureuse antithèse de 80% des drames contemporains. Joie.
On le sait, l’Angleterre aime embrasser sa misère au coin de son cinéma. Parrainée par Ken Loach et annoncée moribonde, l’école du film social britannique persiste pourtant à pondre, décennie après décennie, des caisses de projets plus ou moins heureux. Mais rares sont ceux qui, comme le Géant Egoiste, parviennent à nous faire ouvrir durablement les yeux une fois la tête plongée dans les eaux fangeuses du bas de l’échelle. Conner Chapman et Shaun Thomas, ses deux acteurs principaux, sauvegardent avec brio la folle ardeur de leur âge – quelque chose de dickensien qui évite au film de sombrer dans le misérabilisme bas du front – tout en sachant entretenir un malaise consistant, contagieux, et né de leur décor. Deux prismes à la fois naïfs et désespérés, dont le rapport aux chevaux annonce le rapport au monde, et renvoie directement à leur innocence corrompue. Deux personnages que Clio Barnard ne lâche pas du cadre, peignant son arrière-plan sans chercher la fresque globale.
Ultra-sensible et joliment discrète, la caméra de l’art-vidéaste réunit et sépare ses cas sociaux en trois images ou une ligne de dialogue, et s’appuie sur une improbable séquence (une course de chevaux sur une départementale, avec cortège de parieurs avinés et belliqueux) pour synthétiser l’absurdité du monde dans lequel vivent Arbor et Swift, affreusement contemporain, totalement anachronique, excitant et glaçant comme la tombe mentale dans laquelle les concurrents précipitent leur progéniture.
Il y a pourtant une certaine forme de beauté là-dedans, cachée dans l’exactitude nerveuse avec laquelle Barnard filme l’enfance sur le bas-côté, l’individualisme tétanique qui fait rouiller l’idéalisme, le bouillonnement silencieux et les gestes parasites d’Arbor, ou même le dénouement crève-cœur qui conclut le film, dissonance finale d’une œuvre dont la mélodie bâtarde émeut radicalement, sans détours, mais pas sans justesse. En fin de compte, ce faux-récit initiatique sans bouc émissaire porte en lui une très bonne nouvelle : le cinéma naturaliste anglais peut encore raconter une histoire sans donner à son spectateur la désagréable impression de tourner les pages de son cahier des charges sociales. Il peut, surtout, lui laisser savourer en sortie de salle l’amertume de sa fiction, et pas le mauvais goût de sa démarche.
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