Le Fils de Jean - la critique du film

Critique : Après le poignant Je vais bien, ne t’en fais pas suivi du social Welcome, Philippe Lioret explore une nouvelle fois les secrets familiaux. En choisissant Pierre Deladonchamps (César du meilleur espoir masculin en 2014 pour L’Inconnu du lac de Guiraudie) pour incarner son héros principal et en l’entourant de comédiens canadiens de premier choix, il parsème son propos de toute l’élégance et de toute la douceur nécessaires à un tel sujet. C’est aussi en s’inspirant du roman de Jean-Paul Dubois Si ce livre pouvait me rapprocher de toi qu’il a trouvé les mots-clés de son récit : père, découverte, fratrie, Canada, sœur.

Copyright Sébastien Raymond

Mathieu est un trentenaire parisien, père d’un jeune garçon qu’il voit régulièrement. Il semble mener une vie sereine et épanouie. Alors qu’il travaille sur son ordinateur, il reçoit un coup de fil d’un correspondant étranger se présentant comme un ami de son père décédé et lui demandant son adresse postale pour lui faire parvenir un colis que ce dernier a laissé à son intention. Aiguillonné par la curiosité, Mathieu décide d’aller lui-même récupérer ce paquet qui l’attend au Québec, à la découverte de cette autre moitié de lui-même, et d’assister à l’enterrement. Pourtant, cette venue ne semble guère enthousiasmer Pierre, son hôte canadien. Bougon, il le reçoit peu aimablement et lui déconseille (pour ne pas dire lui ordonne) de ne pas dévoiler à ses deux demi-frères qui il est réellement. À ce moment du récit, le doute s’installe sérieusement quant à l’intégrité de ce personnage peu sympathique incarné par un Gabriel Arcand qui se révélera aussi convaincant dans ce rôle d’ours bougon qu’il le sera ensuite dans un tout autre registre. Qu’a t-il donc à cacher ? A-t-il une responsabilité quelconque dans la mort de son ami, noyé dans un lac alors qu’ils pêchaient ensemble ? Qui sont vraiment ces deux garçons cupides et bagarreurs qu’il présente à Mathieu comme étant ces demi-frères ?

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La ressemblance avec ce qui pourrait être un thriller s’arrêtera là. Par petites touches de légèreté et de délicatesse, Philippe Lioret va plutôt s’employer à lever le voile du mystère de la vie de chacun de ses personnages, des héros ordinaires comme on en rencontre tous les jours, juste des gens bousculés ou même blessés par la vie et qui, dignement, se taisent. Privilégiant la sobriété, il préfère s’arrêter sur un regard perdu ou un geste de tendresse plutôt que se perdre dans des dialogues trop explicites, laissant à chacun la capacité à s’identifier à ces situations, et de se retrouver au cœur de sa propre émotion. Le parcours de Mathieu, Pierre, Bettina et Angie devient le nôtre.
Une nouvelle fois (c’est souvent le cas dans les films de Lioret), le casting impeccable fait mouche et renforce la sensibilité de ce récit pudique. Pierre Deladonchamps au regard malicieux et enfantin fait un fils instantanément attachant. Il cultive avec brio à la fois mystère et détermination et contribue largement à toute la subtilité du récit. Mais la palme de l’interprétation revient sans aucun doute à Gabriel Arcand (qui est avant tout un homme de théâtre, ce qui ne l’a pas empêché d’illuminer Le Démantèlement de Sébastien Piolle) ; il s’empare avec une sensibilité peu commune de ce double rôle : d’homme froid et rude, on le regarde avec fascination se transformer en compagnon de route émouvant, lucide et joyeux. Pourtant l’humanité de cette histoire n’aurait pas été si prenante sans le jeu aux multiples nuances de Marie-Thérèse Fortin, colonne vertébrale de cette famille restée droite malgré ses nombreuses fêlures. On devine qu’elle en sait bien plus qu’elle ne veut le dire mais pour préserver ce fragile équilibre, elle se taira autant qu’il le faudra.

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Non seulement nos « cousins » québecois nous « prêtent » la crème de leurs comédiens mais il nous donnent également l’occasion de profiter de la beauté de leurs paysages à nuls autres pareils. La splendeur de la scène tournée autour du lac justifie à elle seule cette incursion dans la « Belle Province » et contribue à donner l’ampleur nécessaire à ce film bouleversant et solaire qui décrit avec une infinie tendresse l’intime fragilité des êtres.