L’éternel surréalisme
Le 28 mars 2024
Fantaisie surréaliste, cet avant-dernier long métrage de Buñuel permet de retrouver tout l’univers du maître.
- Réalisateur : Luis Buñuel
- Acteurs : Michel Piccoli, Jean Rochefort, Jean-Claude Brialy, Monica Vitti, Bernard Verley, Fernando Rey, Michael Lonsdale, Claude Piéplu, Pierre Maguelon, Paul Frankeur, Julien Bertheau, François Maistre, Adriana Asti, Pascale Audret, Hélène Perdrière
- Genre : Comédie dramatique, Fantastique
- Nationalité : Français, Italien
- Distributeur : Carlotta Films, Twentieth Century Fox France
- Durée : 1h45mn
- Date télé : 4 février 2021 20:40
- Chaîne : OCS Géants
- Reprise: 2 août 2017
- Date de sortie : 11 septembre 1974
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Résumé : Lors de l’invasion de Tolède par les forces napoléoniennes, un capitaine de dragons français baise la statue d’une femme agenouillée et est frappé d’un coup de poing par une autre statue, celle d’un chevalier. L’histoire est racontée par la bonne du couple Foucauld, qui bute sur un mot difficile alors qu’elle lit un roman sur la guerre napoléonienne en Espagne. Échappant à sa surveillance, la fille des Foucauld, Véronique, a suivi un inconnu qui lui a offert une série de cartes postales. Les parents, à qui l’enfant remet les photos, sont horrifiés en regardant ces clichés...
Critique : Avant-dernier film de Luis Buñuel, Le fantôme de la liberté boucle la boucle avec le surréalisme de ses débuts, celui d’Un chien andalou et de L’âge d’or. En 1974, la société française a changé, le catholicisme a décliné, les mœurs ont été bouleversées, le public de cinéma est plus cultivé et Buñuel est devenu un cinéaste réputé et récompensé au niveau international, de la palme d’or du Festival de Cannes octroyée à Viridiana à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère pour Le charme discret de la bourgeoisie. Est-ce à dire que la démarche esthétique et l’univers du cinéaste dont sa charge anticléricale ont perdu de leur charge corrosive ? Certainement pas. Et si le spectateur n’a pas cassé les fauteuils du cinéma à la vue d’un pervers (Michael Lonsdale) se faisant fouetter les fesses sous le regard horrifié de moines, la scène est stupéfiante, au-delà de sa charge comique. Après le succès du Charme discret..., Buñuel et son fidèle scénariste Jean-Claude Carrière ont bénéficié d’une marge de manœuvre plus importante. La narration est inédite. Ce n’est pas ce que l’on nommera plus tard un film choral, même si certains rôles en évoquent la structure. Ce n’est pas non plus un vrai film à sketches puisqu’à la fin de chaque segment, un personnage devient le relais pour l’épisode suivant. Le procédé, qui avait déjà été utilisé par Max Ophuls dans La ronde, prend ici une tournure particulière. C’est ainsi qu’une secrétaire médicale (Milena Vukotic), figure secondaire d’une scène, demande l’autorisation de se rendre à Rouen, ce qui nous vaudra les séquences dans l’auberge. Elle accepte ensuite de prendre en stop un instructeur policier (François Maistre) qui sera lui-même protagoniste et passeur dans le récit suivant. C’est le principe du cadavre exquis cher aux surréalistes. Seule la première séquence est historique, en faisant référence aux guerres napoléoniennes : des Espagnols sont fusillés et l’un deux déclare avant de mourir « À bas la liberté », insulte au Bonaparte héritier de la Révolution française. Pour Buñuel, la vérité est plus grave : « Je vois la liberté comme un fantôme que nous essayons d’attraper, et nous étreignons une forme brumeuse qui ne nous laisse qu’un peu d’humidité dans les mains », a-t-il déclaré.
On peut y voir un dégoût pour la dictature franquiste, aussi bien qu’une dénonciation des totalitarismes d’Amérique du Sud ou une méfiance face aux imperfections des démocraties occidentales... Dans cet esprit, au prologue fait écho le dénouement qui voit un préfet (Michel Piccoli) et son double imposteur (Julien Bertheau) donner des ordres pour tirer sur une foule innocente dans un zoo, la caméra préférant filmer le passage d’un paon... Mais Le fantôme de la liberté n’est qu’accessoirement un film politique. C’est une comédie de l’absurde doublée d’une satire de mœurs qui n’est pas sans rappeler le théâtre de Ionesco. Le système des valeurs et les normes sociales y sont déréglés avec délectation. On y voit ainsi un couple de bourgeois (Monica Vitti et Jean-Claude Brialy) s’offusquer des photos qu’un satire (Philippe Brigaud) a données à leur petite fille, quand celles-ci s’avèrent être des cartes postales de lieux touristiques. Un vieux moine (Marcel Pérès) décrète que les maladies seraient moins fréquentes avec les prières puis se met à jouer aux cartes avec ses frères, un verre de bière à la main. Un adolescent mineur (Pierre-François Pistorio) voue à sa vieille tante (Hélène Perdrière) une passion charnelle dévorante. Ce qui est superbe, dans ce bric-à-brac, c’est que Buñuel brouille les pistes entre ce qu’il dénonce et ce qu’il souhaiterait voir tolérer. Mais certains passages sarcastiques sont sans équivoque. Ainsi, les dérives de la société de consommation font l’objet d’une scène culte, quand des invités sont conviés à déféquer autour d’une table, puis à se retirer dans un cabinet pour satisfaire leurs besoins alimentaires. Les excès du tout-sécuritaire (déjà à l’époque !) sont raillés lorsque les époux Legendre (Pascale Audret et Jean Rochefort) signalent la disparition de leur fillette alors qu’elle est auprès d’eux... Et comme toujours chez Buñuel, les frontières entre le rêve, la réalité et la folie sont parfois floues, comme l’attestent les stupéfiantes retrouvailles entre le préfet et sa sœur défunte (Adriana Asti). Insolite et jubilatoire, Le fantôme de la liberté est une œuvre majeure que l’on ne se lasse pas de redécouvrir.
– Extrait du Fantôme de la liberté
– National Board of Review, USA 1974 : Top Foreign Films
– Sindacato Nazionale Giornalisti Cinematografici Italiani : Prix du meilleur film étranger
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