Attention derrière !
Le 22 mars 2015
Transcendant remarquablement les genres cinématographiques, Le Challat de Tunis est un film certes déroutant, mais qui revendique une nouvelle fois le cinéma comme un art libre et libérateur.
- Réalisateur : Kaouther Ben Hania
- Acteur : Jallel Dridi
- Genre : Comédie dramatique, Documentaire, Comédie policière
- Nationalité : Français, Tunisien
- Distributeur : Jour2fête
- Durée : 1h30mn
- VOD : Orange, UniversCiné
- Date télé : 30 septembre 2024 21:00
- Chaîne : TV5 Monde
- Date de sortie : 1er avril 2015
- Festival : Festival de Cannes 2014
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Résumé : Tunis, avant la révolution. En ville une rumeur court, un homme à moto, armé d’un rasoir, balafrerait les fesses des femmes qui ont la malchance de croiser sa route. On l’appelle le Challat, "le balafreur". Fait divers local ? Manipulation politique ? D’un quartier à l’autre, on en plaisante ou on s’en inquiète, on y croit ou pas, car tout le monde en parle...sauf que personne ne l’a jamais vu. Dix ans plus tard, sur fond de post-révolution, les langues se délient. Une jeune réalisatrice décide d’enquêter pour élucider le mystère du Challat de Tunis. Ses armes : humour, dérision, obstination.
Critique : Le film de Kaouther Ben Hania narre avec beaucoup d’audace l’enquête d’une étudiante en cinéma, intriguée par un fait divers très singulier : un homme à Tunis balafrerait le popotin des femmes qu’il croise sur son chemin. Rumeur, légende urbaine, réalité ? On surnomme cet individu le Challat (le balafreur, en français).
Sur fond de méta-film et chronique sociale, la réalisatrice réforme joliment le film policier classique… et le cinéma dans son ensemble pour livrer une enquête à mi-chemin entre la fiction et le documentaire.
- © CINETELEFILMS & SISTER PRODUCTIONS
En fait, Le Challat de Tunis n’est pas un film de fiction, comme on pourrait s’y attendre. Mais ce n’est pas non plus tout à fait un documentaire. Il est vrai qu’un raccourci persistant oppose le documentaire, souvent perçu comme didactique, informatif et non divertissant, et la fiction qui, elle, relève apparemment plus du divertissement. Mais Kaouther Ben Hania va bien au-delà de ces conventions. Fascinée par l’histoire du Challat, elle a bien sûr mené une investigation très approfondie, que l’on retrouve dans le film. Cependant, ce qui intéresse vraiment la réalisatrice, c’est la manière dont ce fait divers effarant s’est emparé de la population. Tout le monde parle du Challat en ville, mais personne ne sait qui il est ni ce qu’il veut. Les habitants de Tunis lui inventent donc des histoires, une vie, une personnalité, en font le criminel le plus célèbre de toute la ville. Comme les protagonistes (la réalisatrice et son chef opérateur), le spectateur nage dans l’incertitude. C’est de cette absurdité sociale et judiciaire dont s’amuse la cinéaste, faisant se croiser réalité et fiction tout au long du film pour se libérer des codes traditionnels, et mieux saisir "la vérité", comme elle le dit elle-même.
- © CINETELEFILMS & SISTER PRODUCTIONS
La mise en scène de Kaouther Ben Hania – qui est aussi l’héroïne du film – peut apparaître comme très amatrice, alors qu’elle est bien étudiée et maîtrisée, empruntant sa forme au reportage. La caméra est tenue à l’épaule, pour saisir l’action sur le vif. Le spectateur, happé par l’intrigue, suit avec curiosité les investigations de la jeune femme. Et puis, il y a ces quelques séquences de face à face entre la réalisatrice et le présumé Challat, Jallel, qui nous fait pénétrer dans la vie d’un jeune homme sensible, souhaitant prendre une revanche sur l’existence. Dans ces moments-là, la caméra se fige, filmant le visage du personnage en gros plan comme pour nous faire pénétrer dans son intériorité. L’interview se mue peu à peu en véritable plan-séquence de cinéma, permettant une nouvelle fois au film de faire tomber les barrières qui séparent la fiction du documentaire. Il n’y a plus de genre précis, définissable : il y a juste du cinéma.
Ce premier long-métrage se veut un film libérateur, une échappatoire à toutes les contraintes de l’industrie cinématographique et de la vie en général, mais reste cependant très ancré dans son présent. Toutefois, l’on regrette que l’ensemble manque d’émotion et de lâcher-prise. L’histoire reste trop contrainte par la rigueur de l’investigation, dont elle ne parvient pas à se défaire. Dommage, car le film en lui-même ne manque pas d’humanité. Kaouther Ben Hania a au moins le mérite d’avoir réalisé une œuvre libre dans un cinéma contemporain trop souvent régi par la norme.
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