Le 26 février 2015
Stefan Haupt réalise un film curieux, à mi-chemin entre le documentaire et la reconstitution ; en racontant l’histoire d’un couple, les premiers homosexuels mariés en Suisse, il parvient à nous bouleverser durablement.
- Réalisateur : Stefan Haupt
- Acteurs : Matthias Hungerbühler, Peter Jecklin
- Genre : Drame, Documentaire
- Nationalité : Suisse
- Durée : 1h42mn
- Titre original : Der Kreis
- Date de sortie : 4 mars 2015
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Stefan Haupt réalise un film curieux, à mi-chemin entre le documentaire et la reconstitution ; en racontant l’histoire d’un couple, les premiers homosexuels mariés en Suisse, il parvient à nous bouleverser durablement.
L’argument : Zurich, 1958. Ernst et Röbi se rencontrent par l’intermédiaire du Cercle, une organisation suisse clandestine, pionnière de l’émancipation homosexuelle. Alors que les deux hommes luttent pour leur amour, ils vivent l’apogée et le déclin du Club, éditeur d’une revue homosexuelle trilingue, la seule alors autorisée dans le monde.
Notre avis : Le Cercle, qui mêle reconstitution et témoignages de survivants, raconte dix ans de lutte homosexuelle à Zürich, et en particulier ce moment où, de ville phare de la liberté sexuelle, elle se transforme en lieu de pression et de répression. Pour humaniser le récit, Haupt choisit habilement de se centrer sur un couple âgé, Ernst et Röbi, narrant leur rencontre puis leur amour dans un milieu hostile ; il faut dire que trois meurtres homophobes ont conduit la presse et la police à traiter les gay non pas en victimes, mais quasiment en coupables. C’est sans doute ce qui choque le plus : dans un pays qui ne criminalisait pas l’homosexualité, contrairement à l’Allemagne citée à plusieurs reprises, la violence, l’humiliation, le chantage et la délation, utilisés comme arme, donnent la nausée. Car enfin non seulement ces temps ne sont pas si lointains, mais en plus ils évoquent malheureusement le balancier de l’histoire, et le retour toujours possible de l’ordre moral.
A travers plusieurs personnages, Haupt nous offre l’éventail des manières de vivre son homosexualité : du directeur marié au destin tragique à la drag-queen acceptée par sa mère, en passant par celui qui combat ou celui qui hésite, le panel est large ; mais dans tous les cas, le réalisateur sait brosser en quelques traits un caractère. Il n’est que de voir les mains relevées de la mère d’Ernst pour comprendre à la fois qu’elle sait et qu’elle refuse. Cette finesse dans la reconstitution, très cheap il faut bien le dire, s’accompagne d’émouvants témoignages : le récit de l’interrogatoire humiliant vécu par le protagoniste, face caméra, est poignant. On sent sa rage intacte et pourtant, dans la plupart de ces prises de paroles, le ton est doux, apaisé, sans haine.
© Outplay
Même si le film fait preuve de retenue et de pudeur, il saisit de manière très juste l’ambiance paranoïaque à travers quelques séquences : une visite aussi anodine que celle d’une dame apportant du linge devient un court moment de panique. Ernst a ainsi vécu la plus grand partie de sa vie caché, dissimulant même à ses proches son orientation. La peur est constante dans une société homophobe (voir la discussion en salle des professeurs, odieuse et banale) et le risque omniprésent : menace sur la titularisation, l’emploi, la naturalisation … L’un des personnages compare le « Cercle » à un piège ; mais le piège s’étend bien au-delà : diffuser le magazine, le recevoir, passer la frontière, aller au bal sont autant de dangers quasi quotidiens. Et, malgré des débats sur la conduite à tenir, il y a une solidarité réconfortante dans ce petit groupe, certes à l’écart, mais uni.
Le Cercle n’est pas un tract : il s’appuie sur des personnes réelles, et choisit les détails plutôt que les généralités, sans voix-off explicative. On s’en doute, c’est le plus sûr moyen de toucher le spectateur et de faire appel autant à sa sensibilité qu’à sa raison. Si le réalisateur se permet une scène crue, qui se termine d’ailleurs sur un meurtre en ellipse, il opte en général plutôt pour les sentiments ou l’érotisme discret : la scène du shampoing sous le regard du coiffeur est à la fois torride, de manière surprenante, et révélatrice de la tension permanente.
On pourra chipoter sur certaines maladresses, sur la pauvreté des moyens qui conduisent à une image souvent banale et fade, mais Le Cercle est un témoignage émouvant et révoltant sur une société fermée qui produit des ghettos et marginalise une part d’elle-même. À ce titre, ce « semi-documentaire » est exemplaire, palpitant et, hélas, nécessaire voire indispensable.
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