Le 8 mai 2024
Un beau premier film particulièrement émouvant d’un jeune cinéaste éthiopien, Yared Zekele, qui a eu l’honneur d’être présent sur la Croisette au Festival de Cannes 2015.
- Réalisateur : Yared Zeleke
- Acteurs : Kidist Siyum Beza, Welela Assefa, Rediat Amare
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Allemand, Norvégien, Éthiopien
- Distributeur : Haut et Court
- Durée : 1h34min
- Date de sortie : 30 septembre 2015
- Festival : Festival de Cannes 2015
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Résumé : Ephraïm est un jeune garçon éthiopien, toujours accompagné de son inséparable brebis. Confié à des parents éloignés, il s’adapte mal à sa nouvelle vie. Un jour, son oncle lui annonce qu’il devra sacrifier sa brebis pour le prochain repas de fête. Mais Ephraïm est prêt à tout pour sauver sa seule amie et rentrer chez lui.
Critique : « L’Éthiopie est à Cannes » s’est exclamé Thierry Frémaux, délégué général du festival, lors de l’édition 2015, pour lancer la présentation de Lamb, sélectionné dans la section « Un certain Regard ». Lamb est effectivement le premier film éthiopien à avoir les honneurs de la Croisette. Lors de la projection, le public festivalier l’a accueilli chaleureusement. Teza, le film pourtant remarquable d’Hailé Gerima, n’avait pas été sélectionné en 2008. Le printemps 2015 fut décidément un beau moment pour le cinéma éthiopien d’auteur, puisque Difret, réalisé par le jeune cinéaste Zeresenay Mehari, a également connu un certain succès au niveau international avec une diffusion dans la plupart des pays européens.
Âgé de trente-six ans, Yared Zekele est l’auteur de Lamb, une œuvre semi-autobiographique. Le jeune cinéaste a vécu jusqu’à l’âge de dix ans dans un bidonville d’Addis Abeba, élevé par sa grand-mère - à qui le film est dédié –, avant de rejoindre aux États-Unis son père qui avait dû fuir l’Éthiopie du fait de son opposition au sinistre régime du dictateur marxiste-léniniste Mengistu. Après des études en agronomie, des activités dans plusieurs ONG, Yared Zekele s’est tourné vers des études cinématographiques avant de revenir en Éthiopie pour réaliser son premier long métrage. Ce ne fut pas une mince aventure pour lui que de trouver des moyens de production. Aussi Zekele a-t-il créé sa propre société et s’est-il tourné vers des pays européens comme la France, la Norvège et l’Allemagne, ainsi que vers la Commission européenne, pour financer cette œuvre tournée dans le nord-est de l’Éthiopie avec des acteurs uniquement éthiopiens.
- © Yared Zekele
La première image du film ? Une petite main posée avec tendresse sur le beau pelage roux et velu d’une brebis. Nous sommes en Éthiopie à fin des années 1980, juste après les deux famines (mal gérées, voire instrumentalisées par le pouvoir communiste) qui ont sévi sur ce pays dévoré par la sécheresse en 1984 et 1985 et ont entraîné la mort de près d’un million de personnes. Dans ce conte initiatique, Ephraïm (Rediat Amare), un petit garçon de onze ans, vient de perdre sa mère qui a succombé à la famine. Pour ne pas subir le même sort, son père (Indris Mohammed) quitte le village, situé dans les régions volcaniques et arides du nord-est du pays, pour conduire son fils chez sa grand-tante et son cousin, des paysans pauvres vivant au Sud dans la région de Balé, au climat plus clément. Le père n’a pas d’autre choix que de laisser son fils dans cette famille pour aller tenter de survivre en travaillant à Addis Abeba. Comme seule compagne, Ephraïm a sa brebis Chauni ayant appartenu à sa mère et dont il prend le plus grand soin. Sensible et attentionné, avec peu de goût pour les travaux des champs, il est considéré comme une fillette par son oncle plutôt rustre – celui-ci n’accepte pas que l’enfant ait une véritable passion pour la confection de repas qui se révèlent pourtant succulents, malgré de faibles moyens. L’oncle décide que Chauni devra être sacrifiée pour le repas de la fête chrétienne orthodoxe de la Croix. Mais Ephraïm, au caractère bien trempé, court partout comme un lapin avec ses petites bottes jaunes pour déjouer ce plan terrifiant et trouver ruses et stratagèmes qui lui permettront de sauver sa seule amie et repartir avec elle dans son village natal.
Derrière cette trame d’une grande simplicité, Yared Zekele porte un regard troublant d’enfant sur ce qui l’entoure et, bien au-delà, sur une société paysanne éthiopienne structurée et digne malgré la pauvreté et l’oppression. Nous découvrons ainsi avec beaucoup de détails précis et de finesse une culture locale attachante et chaleureuse : travaux dans les champs avec un équipement archaïque, préparations méticuleuses des repas composés essentiellement d’injéras (galettes traditionnelles), ventes animées au marché, paroles libérées de femmes lors de réunions d’où les hommes sont absents, fêtes joyeuses avec les voisins. Sans oublier de traiter avec une grande délicatesse la période critique qu’est le passage de l’enfance à l’âge adulte chez l’enfant solitaire et meurtri qu’est Ephraïm, toujours flanqué de son adorable biquette.
- © Yared Zekele
Lamb est un beau film onirique et émouvant, qui ne dérape jamais dans les larmoiements. Cette émotion est universelle car liée aux sentiments de perte et d’exil. Le film doit par ailleurs beaucoup à l’extraordinaire photographie de Josée Deshaies (la cheffe opératrice géniale du Saint Laurent de Bertrand Bonello), qui magnifie les paysages montagneux éthiopiens, qu’ils soient arides ou verdoyants, et nous enveloppe de superbes couleurs chaudes. Le cinéaste nous offre aussi de beaux gros plans, notamment sur cette nourriture si rare mais traitée avec respect et préparée avec amour. Quant au jeu d’acteur, il est tout simplement d’un naturel époustouflant. Et ce d’autant plus que les personnages sont extrêmement forts, qu’il s’agisse d’Ephraïm, de l’oncle (Surafel Toka), de la grand-tante (Welefa Assefa) ou encore de la fille rebelle (Kidist Siyum).
Lamb (comme Difret) est un beau film d’auteur qui tranche avec les comédies romantiques (les com rom) et autres films bruyants à la sauce bollywoodienne, qui sont programmés dans la cinquantaine de salles de cinéma existant actuellement en Éthiopie. Espérons qu’il ouvrira la voie à un cinéma trouvant son public éthiopien mais aussi une audience internationale.
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