Amour, bonheur...
Le 22 septembre 2013
À travers trois histoires imbriquées autour du thème du bonheur et de l’imagination, Alain Resnais signe l’un de ses films les plus singuliers, méjugé à sa sortie.
- Réalisateur : Alain Resnais
- Acteurs : Fanny Ardant, Sabine Azéma, André Dussollier, Valérie Dréville, Geraldine Chaplin, Marie Rivière, Vittorio Gassman, Bernard-Pierre Donnadieu, Valérie Stroh, Ruggero Raimondi, Chantal Ladesou, Philippe Laudenbach, Pierre Londiche, François-Éric Gendron, Véronique Silver, Lucienne Hamon, Francine Bergé, Samson Fainsilber, Martine Kelly, Jean-Claude Arnaud, Jean-Michel Dupuis, Cathy Berberian, Caroline Silhol, Janine Magnan, Louis Julien
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français
- Distributeur : AAA Distribution (Acteurs Auteurs Associés)
- Editeur vidéo : MK2 Video
- Durée : 1h50mn
- Date de sortie : 20 avril 1983
L'a vu
Veut le voir
Résumé : En 1919, dans son château situé dans la forêt des Ardennes, le comte Forbek propose à ses invités une expérience qui doit les conduire à un état de bonheur permanent. Le prix à payer est un enfermement total, l’oubli du passé et une rééducation des sens, en sélectionnant tout ce qui est harmonieux. En 1982, le même château est devenu un collège expérimental. Un colloque de chercheurs s’y réunit pour préciser les méthodes et moyens d’une éducation de l’imagination. Au même moment, trois enfants s’inventent un conte moyenâgeux, dans lequel un prince vaillant triomphe d’un tyran pour le bonheur de son peuple.
Critique : Après le succès public et critique de Mon oncle d’Amérique, Alain Resnais eut encore plus de liberté et renouvela sa collaboration avec le scénariste Jean Gruault. Comme à son habitude, Resnais entrecroise plusieurs espaces temporels mais respecte ici l’unité de lieu, puisque le château construit par le comte Forbek (Ruggero Raimondi) sert de cadre aux trois récits. À vrai dire, l’histoire médiévale que transcrit le jeu des trois enfants constitue davantage un leitmotiv ou interlude récurrent, dans une mise en scène et des décors qui évoquent tant l’opéra que la bande dessinée. Enki Bilal a d’ailleurs construit plusieurs maquettes, en complément du travail de Jacques Saulnier, décorateur habituel de Resnais. Dans ces saynètes oniriques, les enfants reproduisent les schémas binaires des adultes tout en greffant leur inventaire narratif. On reconnaît ici la patte de l’auteur de L’année dernière à Marienbad, dans sa capacité à filmer des préoccupations mentales en les projetant dans des lieux à la fois étouffants et singuliers. Le chant sublime de la nourrice mourante (la cantatrice Cathy Berberian) fait la passerelle avec les deux autres histoires : « C’est le temps du bonheur qui commence ». Fan des récits de Maurice Leblanc et des séries cinématographiques de Louis Feuillade, Resnais donne le meilleur de lui-même avec le volet se situant en 1914 (la première séquence du film) puis en 1919. « Amour, amour, amour.... », déclame à l’infini Livia (Fanny Ardant), embrassant avec tendresse son amant Raoul, incarné par André Dussollier dans un rôle muet. Le spectateur non averti de 1983, bluffé par un générique somptueux et ce plan fixe romanesque, pouvait alors s’attendre à une énième saga lelouchienne incarnée par un parterre de stars, dont l’actrice révélée deux ans plus tôt par Truffaut. Il n’en est bien sûr rien, tant Resnais adopte une distance vis-à-vis de ce récit d’un amour contrarié par le projet d’un aristocrate mégalo. Avec son atmosphère de décadence et de mystère, oscillant entre le premier degré et la parabole, ce niveau narratif est fascinant, et remarquablement servi par la photo de Bruno Nuytten, la musique baroque de M. Philippe-Gérard et l’interprétation savoureuse des interprètes dont Samson Fainsilber en vieux père aigri et coléreux.
Mais le segment le plus long de La vie est un roman est celui du colloque pédagogique sur « L’éducation de l’imagination ». C’est aussi celui qui a sans doute dérouté le plus le public de l’époque, même si l’humour (pas toujours fin, au demeurant) fait passer les situations les plus saugrenues. Autour d’un organisateur complaisant (Robert Manuel) et d’une directrice d’école autoritaire (Véronique Silver) se trouvent rassemblés plusieurs personnages pittoresques dont les discussions finiront en pugilat. Si leur souci de valoriser la créativité de l’enfant semble les réunir, les propositions divergentes et les contraintes pour y parvenir les mèneront à des débats stériles. L’architecte visionnaire (Vittorio Gassman), l’anthropologue fantasque (Geraldine Chaplin), le pédagogue ludique (Pierre Arditi), la prof de collège cool (Martine Kelly) ou le prêtre moderne (Jean-Louis Richard) forment ici un panel d’adultes incapables de dépasser leurs propres représentations. Resnais est plus indulgent avec l’institutrice Elisabeth Rousseau, une utopiste sentimentale, personnage dont la justesse doit beaucoup à Sabine Azéma, dans son premier grand rôle à l’écran. C’est par ailleurs dans ce volet que le chant se fait de plus en plus omniprésent, anticipant le procédé d’On connaît la chanson, mais avec sans doute moins de verve et de subtilité. Et il faut attendre l’alternance de plus en plus répétée des épisodes 1919 et 1982 pour que le film procure un frisson authentique. Cette réserve n’empêche pas La vie est un roman d’être une œuvre réussie et trop méconnue dans la carrière d’Alain Resnais. Fable amère sur les utopies des prêcheurs dogmatiques et gourous en tous genres, le film marque aussi un tournant dans la volonté du cinéaste de distiller une fantaisie explicite dans son œuvre.
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.