Fantôme de chair
Le 18 juin 2012
Le film qui fit connaître Mizoguchi en Occident. Virtuose, stupéfiant de beauté, féroce et déchirant.
- Réalisateur : Kenji Mizoguchi
- Acteurs : Takashi Shimura, Toshirō Mifune, Chieko Higashiyama, Kinuyo Tanaka, Benkei Shiganoya , Eitarō Shindō, Sadako Sawamura, Daisuke Katō, Eijirô Yanagi, Tsukie Matsura, Ichirō Sugai, Hisako Yamane
- Genre : Drame, Historique
- Durée : 2h16mn ou 2h28mn (Japon)
- Titre original : 西鶴一代女 (Saikaku ichidai onna)
- Date de sortie : 3 février 1954
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– Sortie au Japon : 3 avril 1952
– Grand Prix International, Venise 1952 ex-aequo avec L’homme tranquille
(Ford) et Europe 51 (Rossellini)
Le film qui fit connaître Mizoguchi en Occident. Virtuose, stupéfiant de beauté, féroce et déchirant.
- Saikaku ichidai onna (Mizoguchi 1952)
L’argument : Dans un temple, face aux statues du Bhoudha, O’Haru, vieille prostituée encore en activité, se remémore sa vie.
Jeune fille noble, elle avait cédé aux avances d’un homme de basse extraction et été condamnée à l’exil ainsi que sa famille alors que son amant était exécuté.
Puis elle avait été choisie pour donner un héritier au seigneur Matsudaira. Mais après la naissance de l’enfant, l’épouse légitime l’avait fait renvoyer en la dédommageant à peine.
Le père de O’Haru, couvert de dettes parce qu’il croyait sa fortune assurée, avait vendu sa fille à une maison de plaisirs.
Là, un client très riche avait promis de la prendre pour femme mais s’était révélé être un faux monnayeur.
Après être retournée chez ses parents, O’Haru était entrée au service d’un drapier dont la femme, devenue chauve à la suite d’une maladie, s’ingéniait à cacher sa calvitie. Ayant eu connaissance du passé de courtisane de la jeune femme, le mari avait voulu profiter de la situation, causant la jalousie de son épouse et le renvoi de O’Haru.
Plus tard elle avait épousé un jeune marchand d’éventail mais son mari avait été ramené mort un matin, tué par des bandits.
Elle avait ensuite trouvé refuge dans un temple bouddhique, mais le drapier, venu récupérer ses étoffes, l’avait forcée à se donner à lui, causant une fois de plus son renvoi.
Elle avait vécu quelque temps avec le domestique du drapier qui s’était enfui en volant son maître. Après l’arrestation du jeune homme elle était devenue mendiante avant de rejoindre des prostituées vieillissantes travaillant dans la rue.
Le seigneur Matsudaira étant mort, la famille veut recueillir O’Haru, dont le métier déshonore le nom du clan. On l’autorise à voir de loin son fils, devenu adulte. Mais celui-ci ne lui accorde pas même un regard et, comprenant qu’on veut l’exiler dans un lointain domaine de campagne, elle s’enfuit.
Revenue dans le temple aux mille Bouddhas, O’Haru fait remarquer à ses compagnes que les visages des statues évoquent ceux des hommes qu’elles ont connus.
Notre avis : Présenté et primé à Venise en 1952, Saisaku ichidai onna fit connaître en occident le nom de Mizoguchi. Il s’agit d’une production de prestige, en costumes, dotée à l’évidence d’un budget conséquent et faisant appel à de nombreux acteurs connus pour des rôles le plus souvent très brefs.
- Saikaku ichidai onna (Mizoguchi 1952)
Cette opulence de moyens n’est pas étalée et ne nuit aucunement à la parfaite économie dramatique du film mais elle permet au cinéaste de soigner la reconstitution historique en poussant très loin son obsession maniaque du détail authentique, de peaufiner son art du plan séquence en déployant une prodigieuse chorégraphie des mouvements de caméra, tantôt lents et voluptueux, tantôt emportés par une accélération soudaine (la course de O’haru suivie par sa mère dans le bois de bouleaux) et de composer, avec les chefs opérateurs Yoshimi Hirano et Yoshimi Kono, des images d’une stupéfiante beauté vivante, fragile, menacée (par exemple ce petit carré en haut à droite où des gens courent dans tous les sens alors que le premier plan est immobile ; ou encore, lors de l’arrestation du faux monnayeur, le recul de la caméra révélant la présence de O’Haru qui contemple la scène de la balustrade, en plein centre du plan).
Au cours des fameux entretiens parus dans la revue Eiga Geijutsu et repris dans les Cahiers du cinéma le scénariste Yoshikata Yoda déclarait qu’en adaptant un récit de l’écrivain Ihara Saikaku, Kōshoku ichidai onna, publié en 1686, il avait voulu à travers les malheurs d’une femme persécutée (…) montrer l’injustice des classes féodales. Mais il estimait aussi que Mizoguchi et lui avaient humanisé le thème, s’éloignant du style implacable et féroce de Saikaku pour se rapprocher de celui de Chikamatsu (dont ils adapteront deux ans plus tard le drame Daikyoji sekireki dans Chikamatsu monogatari / Les amants crucifiés.
- Saikaku ichidai onna (Mizoguchi 1952)
Cette férocité implacable est pourtant bien présente et le film dresse avec une précision clinique le portrait d’une société régie par des contraintes qui ne peuvent générer que des relations placées sous le signe de la cruauté et de la violence.
- Kinuyo Tanaka dans Saikaku ichidai onna (Mizoguchi 1952)
Mais le cinéaste garde toujours la bonne distance et ne cède ni à la complaisance ni à la commisération larmoyante. Il introduit d’ailleurs une bonne dose de grotesque : l’épisode, à la fois comique et glaçant, du chat et de la perruque ; celui des statues du temple qui rappellent aux vieilles prostituées les hommes de leur vie ; ou encore celui où O’Haru est présentée par un moine à ses jeunes disciples comme le fantôme d’une vie de plaisirs pour les dégoûter des envies de la chair et où, par dérision, elle s’amuse à tenir le rôle de l’épouvantail.
Car, du mélodrame à la farce grinçante, du foisonnement des détails à l’épure, cet art suprêmement accompli sait recourir à tous les registres en donnant à la fois un sentiment de perfection formelle indépassable et d’inquiétude, de déchirante compassion (au sens propre de souffrir avec), pour accompagner, souvent de dos, l’avancée de son héroïne dans un monde hostile mais sans condamner aucun des personnages, même les plus odieux.
Entourée d’une troupe d’acteurs admirables, l’immense Kinuyo Tanaka sidère une fois de plus par son jeu à la fois stylisé et totalement juste, qu’elle soit noble jeune fille aux manières raffinées ou pauvresse vieillie avant l’âge au masque horriblement grimé .
- Kinuyo Tanaka et Toshiro Mifune dans Saikaku ichidai onna (Mizoguchi 1952)
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