Entre terre et mère, une histoire d’eau de vie
Le 20 mars 2024
Amour, souffrance et combat par le réalisateur du Concert. Un joli film, un brin didactique, qui sait distiller ses charmes.
- Réalisateur : Radu Mihaileanu
- Acteurs : Biyouna, Saleh Bakri, Hafsia Herzi, Leïla Bekhti, Mohamed Majd, Sabrina Ouazani, Karim Leklou
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français
- Distributeur : EuropaCorp Distribution
- Durée : 2h04mn
- Date télé : 18 mai 2017 23:55
- Chaîne : France 3
- Date de sortie : 2 novembre 2011
- Festival : Festival de Cannes 2011
Résumé : Cela se passe de nos jours dans un petit village, quelque part entre l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Les femmes vont chercher l’eau à la source, en haut de la montagne, sous un soleil de plomb, et ce depuis la nuit des temps. Leila, jeune mariée, propose aux femmes de faire la grève de l’amour : plus de câlins, plus de sexe tant que les hommes n’apportent pas l’eau au village.
Critique : Fait de chemins croisés, d’histoires entremêlées et de danses enchantées, La source des femmes est un film-conte au charme très oriental. Avec ce sixième long-métrage, Radu Mihaileanu marie tonalités et genres, le film passant du drame à la comédie en l’espace d’une chansonnette. Et pourtant, à l’origine du projet, un sujet pas si drôle que ça : la condition de la femme dans le monde arabe. Inspiré d’un fait réel survenu en Iran, le film est le lieu de métissages. De l’héroïne Leïla (Leïla Bekhti), jeune étrangère cultivée venue du désert à Fatima (Hiam Abbas), femme et mère dans un petit village de montagne, il y a un monde. Au-delà de cette différence, un homme en commun, Sami : époux de la première et fils de la deuxième. Un triangle familial berceau de frustrations. Aussi, si Leïla lance l’assaut dans la guerre de l’eau, ce n’est pas tant par altruisme que pour s’affirmer et trouver sa place dans la communauté. Plus libre que les autres, elle n’a rien à perdre : ni sa famille, ni son honneur, ni son mari (Saleh Bakri) qui l’aime tendrement. Un couple un peu trop merveilleux pour faire vrai, mais n’est-ce pas là toute la magie du conte ?
Loin de s’engager sur la pente rocailleuse du sentimentalisme (dans lequel il tombe quelquefois par erreur), le réalisateur du Concert et Vas, vis et deviens choisit de voir plus loin, derrière les sommets d’émotion. Oublié le misérabilisme et la complaisance, ici les femmes sont heureuses et ont de l’espoir à revendre. Si leur destin n’est pas celui de la princesse Shéhérazade (Les mille et une nuits, lecture nocturne et secrète de Leïla s’inscrivant comme le petit livre rouge de la gréviste en chef) ou des starlettes des feuilletons mexicains (la niaiserie télévisuelle moderne se diffuse partout, même sur les cimes du Rif et de l’Atlas), leur vies ne sont pas dénuées d’humour, de rires et d’aventures. Mais lorsque Leïla s’insurge contre le sort fait aux femmes, seules sur les chemins à s’user le dos et à porter l’eau à bout de bras, c’est un véritable combat qui s’enflamme sous nos yeux.
Leurs armes ? Le don de leur corps. Leurs revendications ? L’eau au village mais aussi et surtout, le regard, la considération des hommes. Bref, l’amour. Cette notion d’attention est d’ailleurs centrale à tout le récit. Moteur même de l’esthétique, la recherche du contact se traduit doublement : par le regard implorant des femmes et par les mouvements tortueux de la caméra. Intimiste, le cadre saisit au vol les impulsions de ces manifestantes au caractère ardent et pétulant. Une force qui se retrouve dans la lumière brûlante du soleil, dans l’ocre de la terre et de la peau, et dans le jaune orangé des maisons en terre battue. Ici l’image n’est pas là pour figurer l’histoire mais pour la démultiplier et la sublimer. Décors naturels, architecture type, et travail de l’espace permettent ainsi de dresser une cartographie du combat. Orthogonal dans la vie des musulmanes, les lieux communautaires offrent aux femmes une licence d’expression et une permissivité à laquelle elles ne s’autorisent jamais devant leurs époux. De fait, c’est tout naturellement que la grève naît et prend racines au cœur du hammam. Plus tard, le comité central des combattantes, réunit dans l’Oued, débat de l’évolution du mouvement tout en lavant le linge. Enfin, c’est devant le café du village que la fontaine faite de ronces et d’épines sera exposée, surplombée d’un message : "Vos cœurs sont secs et épineux comme ce puits".
À l’écran, poussière et sable virevoltants viennent attester de cet asséchement des cœurs. Si un parfum de révolution flotte dans l’air, l’affrontement n’est jamais frontal. De par leur condition de femme qui leur impose la soumission et leur confession de musulmane qui leur enseigne le respect, la guerre est ici non violente, du moins en apparence. Sous le couvert de danses enjouées et de chants mélodieux, formes d’expressions traditionnelles des Marocaines, les discours aux piques assassines passent avec grâce et douceur. De même, la composition du cadre, structurée sur une logique de stratification, pose discrètement des obstacles à surmonter dans le plan. Une intelligence de mise en scène qui se poursuit dans l’écriture de la rencontre des femmes avec l’imam. Loin des clichés véhiculés sur les chefs religieux, le personnage de cette figure de haute autorité religieuse fait ici office de père et de vieux sage, et s’impose même comme le premier homme à comprendre la lutte qu’elles entreprennent. Cette justesse de caractérisation des personnages, masculins comme féminins, reste sûrement la plus belle réussite du film. L’excellence de jeu (Leïla Bekhti, Hafsia Herzi, Biyouna) alliée à l’authenticité des histoires personnelles, inspirées de véritables rencontres, donne à ces personnages de femmes l’étoffe d’une grande humanité. Si les hommes en prennent pour leur grade (violence, misogynie, oisiveté et alcoolisme), le film ne les condamne pas pour autant, et prend même le temps de s’arrêter sur les motifs de cette déchéance (sécheresse, désœuvrement, perte d’identité). Reste le choix discutable d’une conclusion heureuse, où tous les désirs et vœux des héroïnes s’exaucent presque par enchantement, à l’exception de la plus jeune (Hafsia Herzi) qui, si elle ne trouve pas l’amour, prend le chemin de la liberté. Une fin de conte de fées. Image étincelante, héroïnes entraînantes et musique envoûtante (entre folklore et violons) font de La source des femmes le parfait film du moment, pédagogique et distrayant. Et à en croire la récente pléthore des cinématographies féministes, notamment Et maintenant on va où ? de Nadine Labaki, l’idée est porteuse. Une ode à la femme assurément.
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roger w 6 novembre 2011
La source des femmes - Radu Mihaileanu - critique
Malgré une longueur excessive qui aurait pu être évitée par l’éviction de quelques intrigues secondaires inutiles, la source des femmes demeure un joli conte, à la fois drôle, émouvant, plein de couleurs, de musiques et de sentiments forts. L’ensemble est porté par des actrices exceptionnelles dont la toujours très charismatique Biyouna. Si le message de tolérance est parfois martelé sans nuance, on apprécie les efforts du cinéaste qui cherche à ne pas accabler tous les personnages en leur trouvant des circonstances atténuantes. A voir.