La traversée
Le 19 juin 2015
Une fiction aux allures de documentaire sur l’immigration clandestine tragique des Africains.
- Réalisateur : Moussa Toure
- Acteurs : Souleymane Seye Ndiaye, Laïty Fall, Malamine Drame
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Sénégalais
- Durée : 1h27mn
- Date de sortie : 17 octobre 2012
- Festival : Festival de Cannes 2012
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Une fiction aux allures de documentaire sur l’immigration clandestine tragique des Africains.
L’argument : Un village de pêcheurs dans la grande banlieue de Dakar, d’où partent de nombreuses pirogues. Au terme d’une traversée souvent meurtrière, elles vont rejoindre les îles Canaries en territoire espagnol.
Baye Laye est capitaine d’une pirogue de pêche, il connaît la mer. Il ne veut pas partir, mais il n’a pas le choix. Il devra conduire 30 hommes en Espagne. Ils ne se comprennent pas tous, certains n’ont jamais vu la mer et personne ne sait ce qui l’attend.
Notre avis : Pour traiter le sujet de l’émigration clandestine, Moussa Touré aurait pu choisir le documentaire : il en a tourné et produit plusieurs. Mais au lieu de donner à voir les images d’une traversée réelle (ce qui a déjà été fait par ailleurs), il s’appuie sur une galerie de personnages, le registre épique et le huis clos pour transcender la réalité documentaire et dire autrement la vérité de la traversée. Surtout, il exploite ce que le sujet a d’essentiellement cinématographique : unité de lieu, de temps, d’action, l’histoire s’inscrit dans la plus pure tradition tragique.
D’un point de vue dramaturgique, le huis clos, comme toujours au cinéma, fait du spectateur le témoin de la lente dégradation des rapports, à mesure que la mort se rapproche et que l’instinct de survie prend le pas sur la solidarité. Dans cet espace temps bien particulier, chaque sentiment, l’espoir, la peur, la colère, est amplifié.
Après la tempête qui décime l’équipage, le quotidien précaire avec lequel les hommes s’étaient arrangés laisse place à une atmosphère de fin du monde. Dès lors, les plans silencieux dans lesquels la caméra s’attarde sur le grain de peau hissent le film au rang d’une épopée tragique et silencieuse. La Pirogue possède son intonation propre : l’expression est mesurée et les mots sont rares, choisis, et définitifs. Cette économie verbales est plus que bienvenue, elle est nécessaire puisqu’elle permet au cinéaste d’éviter le pathos comme de dépasser la leçon de morale.
Le cinéaste travaille sur l’enfermement, transmet le sentiment oppressant de promiscuité à coup de plans serrés, d’images de corps pressés les uns contre les autres, tout en montrant les discussions, les jeux, le quotidien avec lequel s’arrange l’équipage. Il s’attache à montrer la manière dont l’humain résiste, au moins pour un temps, bien que privé de tout c’est-à-dire d’espace, de vivres, et en perpétuel danger. Dans la pirogue les trente et un passagers recréent un microcosme, une société miniature au sein de laquelle les luttes de pouvoir font rage, les alliances se forment, et où naît une ébauche de romance autour du personnage de Nafi (très belle Mame Astou Diallo). Si le film apparaît à ce point convaincant et maîtrisé, il le doit aux personnages et aux acteurs, amateurs pour certains, lesquels font exister des personnages crédibles, riches d’une voix propre. Les personnages principaux à première vue s’apparentent à des types, mais se révèlent plus complexes. L’organisateur du voyage, Lasana, s’inscrit dans la droite lignée des "méchants" au cinéma. Vénal et despotique, inconséquent, il est superbement interprété par Laïty Fall qui le dote de tics de langage mémorables. Inconséquent, non religieux et impétueux, il est porté par la volonté de faire quelque chose de sa vie, et c’est lui qui s ’exclamera "Je suis un africain qui a décidé d’entrer dans l’Histoire par ses propres moyens ! Allez vous faire foutre !"
La division se fait assez nette entre lui et le noble Baye Laye. Aîné de la fratrie, raisonnable capitaine de l’embarcation, Moussa Touré le filme à la barre, superbe, colossal, et terriblement précaire. Lorsque son frère cadet le défie de partir, le film laisse deviner sans insister le problème de la dévirilisation que sous tend la situation, comme il rappelle, sans didactisme, la complexité de l’histoire africaine, à travers l’enchevêtrement des langues, des rites, des religions qui se heurtent ou coexistent , en pleine mer.
Proche de Youssou Ndour, actuel ministre sénégalais de la culture, à l’initiative d’actions en faveur de la diffusion du cinéma dans son pays, le cinéaste Moussa Touré insiste : son essai est politique. Pour autant La Pirogue n’est pas un film à message mais davantage la réaction d’un cinéaste blessé dans sa fierté. A l’humiliation du discours de Dakar, Moussa Touré répond par des images d’élan vital et de détermination. Bien sur, le sujet est tout autant l’énergie du désespoir, la traversée étant la seule porte de sortie face à la frustration et la précarité.
Notes : Sélection Officielle Un Certain Regard - Festival de Cannes 2012
Sélection Officielle Festival d’Angoulême 2012 - Prix du Public et Prix de la mise en scène
Festival de Locarno 2012.
Après plusieurs documentaires sur le Sénégal, le réalisateur Moussa Touré se tourne vers la fiction pour évoquer l’un des grands fléaux africains du moment, les conditions d’immigration épouvantables qui déciment chaque année un nombre colossal de migrants. Une tragédie moderne doublée d’un bel hommage aux femmes, pour une oeuvre universelle qui se veut tournée vers le réalisme et l’Histoire.
Sortie en salle le 17 octobre 2012.
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