Le 18 novembre 2016
Un western dense et tragique, porté par le génie cinématographique d’Anthony Mann.
- Réalisateur : Anthony Mann
- Acteurs : Anne Bancroft, Victor Mature, Robert Preston, Peter Whitney, Guy Madison, James Whitmore
- Genre : Historique, Western
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Sidonis Calysta
- Durée : 1h38mn
- Titre original : The Last Frontier
- Date de sortie : 3 août 1956
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Résumé : Jed Cooper est un trappeur brutal et isolé de la civilisation. Il s’engage dans l’armée avec ses deux partenaires mais, décidé à s’installer, cherche à séduire la très belle femme du colonel Marston. Entre-temps, les soldats, jeunes et peu expérimentés, sont chargées de lancer une attaque contre les Indiens pour venir en aide à un fort voisin...
Critique : Moins célèbre et moins réputé que les grands westerns avec James Stewart, La charge des tuniques bleues, dont le titre français n’est pas très heureux, est une œuvre curieuse, constamment passionnante malgré quelques maladresses ; à travers une histoire somme toute classique, Mann et ses scénaristes tentent d’élever le genre jusqu’à la tragédie. Bien sûr, cela ne va pas sans naïvetés, tant la greffe joue d’à peu près tous les ressorts tragiques ; mais le film en acquiert une densité inédite, créant des personnages torturés, complexes dans leurs rapports, toujours prêts à l’introspection. Quand Cooper, ivre, adresse un long monologue à la troupe, on n’est pas loin, dans l’intention comme dans l’emphase, de Shakespeare. Mais ce sont tous les êtres enfermés dans le fort qui sont prisonniers de leurs folies et pulsions ; de ce point de vue, le scénario, complexe, va très loin : entre la frustration explicite de Corinna, les délires suicidaires et l’impuissance de son mari (la manière dont il tapote la joue d’un soldat laisse même entrevoir un sous-texte homosexuel non exploité), le film suggère l’impossibilité de vivre en société et le caractère névrotique des rapports humains.
La tragédie se joue aussi dans les grands thèmes brassés par les dialogues : l’état de nature contre la civilisation, la pulsion contre la morale, la haine et le désir ; autant de prétextes à discourir et si l’action a un rôle mineur, elle intervient souvent pour dénouer une situation inextricable. Évidemment, de ces longues scènes dramatiques, Mann sait tirer le meilleur : exploitant avec génie le Scope, il les inscrit dans une nature impavide, ou des espaces clos filmés souvent en contre-plongée / plongée. Car l’un des thèmes majeurs, annoncé dès le début par Gus, est celui du piège : piégé par les Indiens au départ, par les soldats dans le fort, Cooper piège à son tour Marston et d’une manière générale, c’est la situation elle-même qui est un gigantesque piège pour tous. Plus largement, le mariage, l’uniforme sont autant de barrières étouffantes.
Certes, on peut par moments trouver lourde cette insistance tragique : les dialogues quelquefois trop explicites, l’accumulation de séquences tendues donnent au film un caractère excessif pas toujours bienvenu. Mais jamais le cinéaste ne perd de vue l’efficacité ; dans de nombreuses scènes, il fait preuve d’un sens cinématographique étonnant. Ainsi quand Gus s’avance en éclaireur, Cooper au premier plan voit ce que nous dévoile un lent travelling : les Indiens massés au sol. Pareillement quand la troupe rejoint le fort sous les hourras, c’est un même travelling solennel qui révèle la gravité de ce retour. Dès le départ d’ailleurs, avec cette scène hallucinante du repas pris au milieu des Indiens, comme plus tard pendant la bataille finale poussiéreuse en diable, Mann privilégie un regard neuf, une relecture des clichés du genre. Il n’aura eu de cesse au fond de réinventer le western, avec ses personnages torturés et complexes, ses extérieurs majestueux. La charge des tuniques bleues n’en est pas le meilleur exemple (la fin en particulier est catastrophique), sans doute aussi parce que les acteurs ne l’ont pas totalement inspiré ; mais c’est une œuvre infiniment riche, constamment surprenante et d’une totale maîtrise.
Les suppléments :
La galerie photos présente quelques affiches internationales sans grand intérêt ; en revanche, l’entretien avec Anthony Mann réalisé par la BBC est passionnant : il y développe ses influences (Murnau), sa conception du cinéma et de la violence, sa vision du western comme tragédie (17 minutes). Puis, c’est l’inamovible Patrick Brion, bien inspiré, qui analyse le film dans son étrangeté (13 minutes).
L’image :
Le grain est un peu trop épais dans les extérieurs, les couleurs manquent de vigueur, mais la copie est propre et d’une belle stabilité.
Le son :
Les deux pistes mono (vost et vf) restituent un son dynamique et, vu l’âge du film, la précision et l’ampleur sont largement satisfaisantes.
– Sortie DVD et Blu-ray : 21 novembre 2016
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